Éditions PLEIN CHANT
Marginalia

16 juin 2015



 

L'enfer sur la terre…


… et dans les livres


 





≈ Pour Marc de Papillon, dit le capitaine Lasphrise, du nom dont il signait ses poésies, l’enfer naît spontanément de la femme ; on l’apprend dans Fléau féminin (Les Gaillardes Poésies du capitaine Lasphrise publiées d’après les éditions de 1597 et de 1599, par un membre de la société des Bibliophiles Gaulois [Prosper Blanchemain], Turin, J. Gay et fils, 1870, p. 178 ; F. Fleuret et L. Perceau, Les Satires françaises du XVIe siècle, Paris, Garnier Frères, 1922, t. II, p. 183) :

Or si Eve innocente, œuvre du Createur,
N’a pu vivre un moment sans detestable erreur,
Comment s’en garderoyent celles dont la naissance
Vient par la puanteur de fragille semence ?
Chose tout impossible ! & aussi void-on bien
Le desastre & le mal où elle nous enserre.
D’elle l’enfer sourdit, d’elle l’avons sur terre,
Donc d’elle nous souffrons double damnation.

 

≈ Théophile de Viau, emprisonné en 1623, connut l’enfer et le fit savoir dans une longue Requeste de Theophile au Roy, Les Œuvres de Theophile…, dernière édition (Lyon, 1677), d’où sont extraits les vers ci-dessous (p. 119) :

Sans cordon, jarretieres ny gans,
Au milieu de dix hallebardes,
Je flattois deux gueux arrogans,
Qu’on m’avoit ordonné pour gardes :
Et nonobstant chargé de fers,
On m’enfonce dans les enfers,
D’une profonde & noire cave,
Où l’on n’a qu’un peu d’air puant,
Des vapeurs de la froide bave
D’un vieux mur humide & gluant.


≈ Au dix-septième siècle toujours, voulait-on voir de ses yeux l’enfer, point n’était besoin d’aller en prison, il suffisait de se rendre à Paris, dans l’île de la Cité, et d’entrer dans la partie de la Salle du Palais où se tenaient les procès – si du moins l’on en croyait Monsieur de Bourdonné, « un Gentilhomme qui a passé la plus grande partie de sa vie à la Cour et dans la Guerre » mais qui a aussi publié en 1658 Le Courtisan desabusé. Dans une nouvelle édition de l’ouvrage on lit, au chapitre XXXII, « De la misere des procés, & du devoir des bons Juges » (Paris, chez Nicolas Le Gras, au troisiéme Pillier de la grande Salle du Palais, à l’L couronnée, 1705), p. 151 :


En verité si je l’ose dire, la grande Salle du Palais est une representation de l’enfer : on y voit une confusion de creatures rassemblées comme des quatre parties du monde, contraires en leurs humeurs, en leurs demandes, en leurs desirs, & semblables en ce seul point que le peché ne les abandonne presque jamais. L’horrible bourdonnement que l’on y entend, confond les tons differens des voix, & dix mille n’en font qu’une seule trés-importune. C’est une chaleur perpetuelle, parce que la justice qui devroit avoir les yeux bandez, ne donne que trop souvent droit à celui qui ne l’a pas, & que ces mauvais arrests font passer du corps dans l’esprit le cuisant & vif déplaisir de se voir ainsi contre toute sorte de raison arracher son bien. De plus, le mouvement perpetuel de ceux qui comme un flux & reflux passent & repassent des quatre coins de ce lieu si vaste, & de tant d’autres détours & retours qui l’environnent, ressemble à celuy d’un abîme, dont l’agitation continuelle est incapable d’aucun repos.

Lisant les Amusemens sérieux et comiques de Charles Du Fresny (1699) on comprend mieux que l’image de l’enfer pour évoquer la grande salle du Palais s’imposait presque – reposait en tout cas sur une réalité bien terrestre de l’époque. Le visiteur, est-il dit, voyant les têtes des procureurs et des avocats qui portaient, outre une robe noire, un bonnet noir avec des pointes en forme de corne « est épouvanté par la lugubre apparition d’une multitude de têtes noires et cornues, qui forment en se réunissant un monstre épouvantable, qu’on appelle la chicane » (« Amusement quatrième. Le Palais », Amusements sérieux et comiques, Paris, éditions Bossard, 1921, p. 75).

 







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