Ce texte,
auquel on a ajouté un titre, se lit dans Les
uns et les autres, par (Joseph)
Méry, un recueil d’anciens articles,
parfois encore lu pour son chapitre sur
Nerval et paru en 1864 (Michel Lévy frères).
La scène évidemment imaginaire, prise dans
« Le chapitre des chapeaux », pages 272-275,
est censée rapporter des
propos tenus « dans un élégant café du
boulevard », à l’époque des dandys
romantiques.
Qui était Méry,
auteur de ce morceau de bravoure ?
Méry,
le voici. À droite, dans Méry, par
Eugène de Mirecourt (1854), à gauche,
détail d'une eau-forte par G. Staal, en
frontispice du Méry de Gustave Claudin :
Quant à
sa vie, on en donne quelques bribes seulement.
Né près de Marseille, aux Aygalades, en 1797,
il eut pour précepteur un abbé qui fit de lui
un excellent latiniste. Il commença par être,
tout comme Auguste Barthélemy, un protégé
d’Alphonse Rabbe, qui les fit écrire dans Le
Phocéen,
journal des arts et du commerce, lancé le 5
janvier 1820. Méry signait M., mais il est
probable qu'il aura écrit, tout comme
Barthélemy, des articles anonymes. Il monte
à Paris – Barthélemy aussi –, et entre au Nain
Jaune,
une revue paraissant tous les cinq jours
sous la direction du jeune et libéral Pierre
Soulé (né en 1801), en qualité de
chroniqueur, puis il rédige – au dire de
Mirecourt (Méry, 1854) – le
journal entier. Il se rapproche de Victor
Hugo (autour de 1824), écrit quelques
satires avec Barthélemy et connaît avec lui
un éclatant succès en 1826, grâce au
poème héroï-comique dirigé contre le
très réactionnaire comte de Villèle, la Villéliade (seize éditions
successives, vingt-huit éditions en 1830)
dont le héros est qualifié de « Neptune
d’eau douce », alors que Louis Reybaud,
préfacier d’une édition en 4 volumes in-18
des Œuvres de Barthélemy et Méry (Paris, Denain
libraire-éditeur, Perrotin éditeur, 1831),
voyait en lui le « machiavélisme fait
homme ».
Après quelques
autres satires politiques, Méry se retire à
Marseille puis revient à Paris où Barthélemy
venait de lancer la Némésis – déesse de la
vengeance, invoquée par André Chénier,
rappellera Barthélemy dans une note de
l’édition à venir en libraire, – une satire
hebdomadaire en alexandrins, imprimée sur
une feuille in-quarto et vendue par
souscription, annoncée le 27 mars 1831 dans
un prospectus-specimen où l’on pouvait
lire :
Hâtons-nous :
trop long-temps ma haine fut
oisive ;
Il faut que désormais mon encre
corrosive,
Dans le sein d’un pouvoir qu’épargna
ma torpeur,
À force de scandale inocule la peur.
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Si l’on
en croit la Galerie de la presse, de la
littérature et des beaux-arts (vol. I, 1839,
« Méry ») par Louis Huart et
Charles Philipon, Méry fut le seul auteur de
la feuille du 20 novembre 1831, « Le
Palais-Royal en hiver », qui se voulait
une pause dans la satire politique :
Némésis va parler
sans haine et sans colère,
Et contre le Pouvoir suspendant ses
clameurs,
Elle effleure aujourd’hui la satire
des mœurs.
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Méry
décrit les boutiques de luxe, l'étalage des
nourritures réservées aux riches, et perdus
devant ces biens inaccessibles, les pauvres,
meurtris par la faim et le froid :
En attendant le
jour ou quelque heureux essai,
Conquis aux songes d'or de Malthus et de
Say,
Quelque plan social, étayé sur deux
tomes,
Couvre d'un peu de chair touts ces
errants fantômes
Donne à chacun sa part, promise aux fils
d'Adam,
De pain quotidien et de drap de Sédan.
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Rappelons
que la Némésis dut s’arrêter
après un an ; Barthélemy, harcelé par
le gouvernement, ne pouvait payer le
cautionnement exigé de tous les journaux
politiques, mais l’ensemble reparut aussitôt
en librairie et connut de nombreuses
éditions.
Doué
d’une prodigieuse mémoire, Méry pouvait,
disait-on, – disait Gustave Claudin dans son
petit livre Méry, sa vie intime,
anecdotique et littéraire,
Bachelin-Deflorenne, 1868 – réciter à
l’envers des passages de l’Énéide, des scènes
entières de tragédies par Corneille, Racine,
Voltaire, tandis qu'il savait par cœur l’Apocalypse de saint Jean.
Après la Némésis, il s’était rendu
en Italie, en avait rapporté des Scènes
de la vie italienne (Paris, Dumont,
1837), mais il écrira La Guerre
du Nizam
(1844, feuilleton dans La Presse, 1847, en
librairie), tout comme il avait écrit Heva
et La
Floride, sans avoir mis le
pied en Inde, à Java ni en aucun des
endroits par lui décrits avec une grande
précision. En 1854, on aura Les Nuits
d’Orient, contes nocturnes,
pareillement voués à la pure imagination.
Méry visite Londres et l’Angleterre,
Stockholm, les villes d’eau d’Allemagne, –
pour leurs salles de jeu. De retour en
France, il reste deux ans à Marseille puis
se rend à Paris où il alimente nombre de
petits journaux, mais aussi La
Presse
de Girardin. Habile versificateur, il
improvise en deux heures, pour les habitués
du salon de Madame de Girardin, le premier
acte en alexandrins d’une Lucrèce, annonciatrice de
la Lucrèce de Ponsard
(Odéon, 22 avril 1843), publié le lendemain
dans Le Globe. Il s’entretient
d’égal à égal avec Balzac à propos des
personnages de La Comédie humaine, il connaît
Chateaubriand, il discute aussi bien avec le
très royaliste Ballanche qu’avec Louis
Blanc. Intarissable causeur, brillant
journaliste, érudit et fantaisiste à la
fois, « ce Marseillais si
Parisien » comme le définissait
Théophile Gautier (Portraits
contemporains), écrit des poèmes, des
nouvelles, des romans, des pièces
dramatiques et… il joue et jouera aux échecs
et dans les salles de jeu jusqu’à sa mort,
en 1866, pour laquelle il avait préparé
cette épitaphe :
Quand je mourrai, que l'on
m'enterre
Bien au
midi ; — que sur la terre
Où je reposerai, dans la nuit, sans
fanal,
Le passant puisse dire en style
funéraire :
« Ici gît Méry-dional. » |
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