Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

4 novembre 2015

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L'abbé Louis Barthelémy (1759-1815) s'était caché sous trois étoiles pour publier en 1788 (Genève et se trouve à
Lyon) :

LA CANTATRICE GRAMMAIRIENNE,

ou

L’Art d’apprendre l’Orthographe Françoise seul, sans le secours d’un maître, par le moyen des Chansons érotiques, pastorales, villageoises, anacréontiques, &c.

Avec un portrait des Poëtes chansonniers les plus agréables de notre nation, & un modele de Lettres mêlées de réflexions sur le style épistolaire.

OUVRAGE destiné aux Dames, & dédié à Madame la Comtesse de Beauharnais.

Par M. l’Abbé ***, de Grenoble


En voici un extrait (pp. 108-111), sur l'orthographe en général et sur Rétif de la Bretonne en particulier, qui avait des idées très personnelles sur la question.
On ajoute la première page de "La Belle-Commissaire", une nouvelle prise dans Les Contemporaines graduées ou Avantures des Jolies-Fammes de l'âge actuel, suivant la gradacion des principaus Etats de la Société, et une partie de la gravure qui illustre le texte.
 
                         
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DE L'ORTHOGRAPHE

Cette partie de notre langue a causé une espece de schisme parmi beaucoup d'auteurs. Chacun a voulu, pour ainsi-dire, établir une orthographe particuliere : mais on entreprendra toujours en vain d'assujettir la langue à une prononciation & à une orthographe systématique, & d’en fonder les regles sur des principes qui demeurent toujours les mêmes. L'usage qui, en matière de langue, est plus fort que la raison, auroit bientôt transgressé les loix. Il est donc vrai de dire qu'on doit se conformer, non pas à l’usage qui commence, mais à l’usage généralement établi.
L’auteur des contemporaines qui veut absolument qu'on écrive comme on parle, a trouvé & trouve encore aujourd'hui des partisans. Mais qu'on nous permette d'observer que dans une langue vivante, l'orthographe est sujette à des regles toutes différentes de celles de la prononciation. L'usage général veut qu'on écrive paon, faon, août, Caen, Saône, à jeun, Europe, &c. Cependant on doit prononcer pan, fan, oût, Can, Sône, à jun, Urope, &c. Nous ne nous appuierons donc sur aucune autorité particuliere, à moins qu'elle ne soit fondée sur celle de l'académie.
Qu'on s'arrête un moment à l'orthographe qui règne dans cette chanson villageoise : le mal d'amour, sur l'air : Ton humeur est Catherine ; elle donnera une juste idée de celle de nos Néographes Modernes.

La nuit quand j’ pense à Jeannette
On diroit qu’ j’ ons des cousins
J’ fons des sauts dans not’couchette
A réveiller les voisins.
Com’
le battant d’un horloge,
Mon cœur va toujours trottant ;
Com’
un chevreau hors d’sa loge

Mon poux va toujours sautant.

J’ sautons, quand j’ voions Jeannette,
Du plaisir & du chagrin ;
J'
ne savons c’ que je souhaite,
Mais le desir va son train.
Dès que j’ l’apperçois, je grille,
Ça me fait perdre la raison ;
Les yeux tant doux d'une fille,
Auroient-ils quelque poison ?

Je nous j’ ttons dans la riviere,
Et j’ n'y restons pas pour peu ;
J’
buvons de la belle eau claire,
Pour appaiser ce grand feu.
Je mettons dans not’ salade
Des herbes de tout’ façons ;
J'
n'en sommes pas moins malade ;
Ces remed’ là sont pourtant bons.


C’est bien là l'orthographe que doit avoir cette chanson à cause de la cadence des vers ; c'est également celle de nos novateurs ; mais ce n'est pas celle qui doit & qui se peut adopter par-tout ailleurs. L'usage & la raison la proscriront toujours. Les néographes, d'ailleurs, savent bien qu'une consonne ne forma jamais un son.
Mad. Favart nous peint le ridicule de nos orthographistes modernes, dans sa romance de Bastien & Bastienne ; elle est sur l'air : Dans ma cabane obscure.

Plus matin que l’aurore,
Dans nos vallons j'étois ;
Bien après l’soir encore,
Dans nos vallons j’restois ;
Le travail & la peine
Tout ça n’ me faisoit rien :
Hélas ! c'est que Bastienne
Etoit avec Bastien.

Drès que le jour se leve
Je voudrois qu'il fût soir,
Et drès que l’ jour s'acheve,
Au matin j’ voudrois m' voir.
D'où vient c' que tout m' chagrine
Et que j’ nons l’ cœur à rien ?
Hélas ! c'est que Bastienne
N’
voit plus son cher Bastien.

L' changement de c' volage
Devroit bien m' dégager ;
Mais j’ n'en ons pas l’ courage,
Et j’ n’ fais qu’ m'affliger.
D'un ingrat quand on s' vange
C'est se dédommager :
Mais, hélas ! Bastien change
Et je n’ saurois changer.

Cette manière d'orthographier dont rafollent quelques-uns de nos petits-maîtres, il le faut avouer, est bien le comble du ridicule.

Ecoutons un moment M. Rétif de la Bretonne, partisan outré du Néographisme.

« Un-beau-jour-de-printemps, je m' promenais au Palais-Royal, seul, concentré, mélancoliq’, sans être triste : un essaim de jeunes beautés, enfermées tout l’hiver, venoit d’ prendre l’essor ; elles arriverent dans l’ jardin. J’ les considérais avec plaisir ; & j‘ sentis un attendrissement délicieus ; mes larmes coulerent : – que la nature est belle ! (m’écriai-je), dans  le plus intéressant de ses ouvrages ! dans la femelle de l’homme !… tandis que cette pensée m'occupait, j’ vis sous les arbres un home vêtu en noir, avec une famme en-satin-couleur-de-tabac, & une jeune fille en fourreau-de-tafetas-vert. Jamais encore mes ieus n’ s’etoient fixés sur un objet aussi mignon, plûs-touchant que la jeune personne. Elle paroissait quatorze-ans : un tendre incarnat coloroit ses joues-de-lis ; sa taille annonçait des contours déjà parfaits ; son sourire était-enfantin, naïf, charmant, délicieus : il n’ fut jamais d'aussi-jolie-bouche. Je la regardais avec admiracion… &c. &c… –

Que de traits d’union où il n’en faut pas un ! que d'apostrophes pour défigurer les mots ! en vérité, c’est bien vouloir soumettre la langue aux bizarreries du caprice. Ce n'est là qu'un foible  tableau de l’orthographe qui regne dans tous les ouvrages de M. Rétif. J'ai ouvert moi-même plusieurs volumes de ses Contemporaines ; j’avouerai que je n'en ai jamais pu lire une page entière sans beaucoup de peine. Si la manière d'orthographier de M. Rétif de la Bretonne est jamais reçue, la palme sera méritée à ce novateur, d'ailleurs estimable.



Rétif de La Bretonne





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