Cette partie de notre langue a causé une
espece de schisme parmi beaucoup d'auteurs. Chacun a
voulu, pour ainsi-dire, établir une orthographe
particuliere : mais on entreprendra toujours en
vain d'assujettir la langue à une prononciation
& à une orthographe systématique, & d’en
fonder les regles sur des principes qui demeurent
toujours les mêmes. L'usage qui, en matière de
langue, est plus fort que la raison, auroit bientôt
transgressé les loix. Il est donc vrai de dire qu'on
doit se conformer, non pas à l’usage qui commence,
mais à l’usage généralement établi.
L’auteur des contemporaines qui veut absolument
qu'on écrive comme on parle, a trouvé & trouve
encore aujourd'hui des partisans. Mais qu'on nous
permette d'observer que dans une langue vivante,
l'orthographe est sujette à des regles toutes
différentes de celles de la prononciation. L'usage
général veut qu'on écrive paon, faon,
août, Caen, Saône, à jeun, Europe, &c. Cependant on
doit prononcer pan, fan, oût, Can,
Sône, à jun, Urope, &c. Nous ne nous
appuierons donc sur aucune autorité particuliere,
à moins qu'elle ne soit fondée sur celle de
l'académie.
Qu'on s'arrête un moment à l'orthographe qui
règne dans cette chanson villageoise : le mal
d'amour, sur l'air : Ton humeur est
Catherine ;
elle donnera une juste idée de celle de nos
Néographes Modernes.
La nuit quand j’ pense à
Jeannette
On diroit qu’ j’ ons des
cousins
J’ fons des sauts dans
not’couchette
A réveiller les voisins.
Com’
le battant d’un horloge,
Mon cœur va toujours trottant ;
Com’
un chevreau hors d’sa loge
Mon poux va toujours sautant.
J’ sautons,
quand j’ voions
Jeannette,
Du plaisir & du chagrin ;
J'
ne savons c’ que je
souhaite,
Mais le desir va son train.
Dès que j’ l’apperçois,
je grille,
Ça me fait perdre la raison ;
Les yeux tant doux d'une fille,
Auroient-ils quelque poison ?
Je nous j’ ttons dans la
riviere,
Et j’ n'y restons
pas pour peu ;
J’
buvons de la belle eau claire,
Pour appaiser ce grand feu.
Je mettons dans not’ salade
Des herbes de tout’ façons ;
J'
n'en sommes pas moins malade ;
Ces remed’ là sont
pourtant bons.
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C’est bien là l'orthographe que doit
avoir cette chanson à cause de la cadence des
vers ; c'est également celle de nos
novateurs ; mais ce n'est pas celle qui doit
& qui se peut adopter par-tout ailleurs.
L'usage & la raison la proscriront toujours.
Les néographes, d'ailleurs, savent bien qu'une
consonne ne forma jamais un son.
Mad.
Favart nous peint le ridicule de nos
orthographistes modernes, dans sa romance de
Bastien & Bastienne ; elle est sur
l'air : Dans ma cabane obscure.
Plus matin que
l’aurore,
Dans nos vallons j'étois ;
Bien après l’soir encore,
Dans nos vallons j’restois ;
Le travail & la peine
Tout ça n’ me faisoit
rien :
Hélas ! c'est que Bastienne
Etoit avec Bastien.
Drès que le jour se
leve
Je voudrois qu'il fût soir,
Et drès que l’ jour
s'acheve,
Au matin j’ voudrois m' voir.
D'où vient c' que tout m' chagrine
Et
que j’ nons l’
cœur à
rien ?
Hélas ! c'est que Bastienne
N’
voit plus son cher Bastien.
L' changement
de c' volage
Devroit bien m'
dégager ;
Mais j’ n'en ons pas
l’ courage,
Et j’ n’ fais qu’
m'affliger.
D'un ingrat quand on s' vange
C'est se dédommager :
Mais, hélas ! Bastien change
Et je n’ saurois
changer.
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Cette manière d'orthographier dont
rafollent quelques-uns de nos petits-maîtres, il
le faut avouer, est bien le comble du ridicule.
Ecoutons un
moment M. Rétif de la Bretonne, partisan outré du
Néographisme.
« Un-beau-jour-de-printemps, je
m' promenais
au Palais-Royal, seul, concentré, mélancoliq’, sans être
triste : un essaim de jeunes beautés,
enfermées tout l’hiver, venoit d’ prendre
l’essor ; elles arriverent dans l’ jardin. J’ les
considérais avec plaisir ; & j‘ sentis un attendrissement
délicieus ; mes larmes
coulerent : – que la nature est
belle ! (m’écriai-je), dans le
plus intéressant de ses ouvrages ! dans
la femelle de l’homme !… tandis que cette
pensée m'occupait, j’ vis sous les
arbres un home vêtu en noir, avec
une famme en-satin-couleur-de-tabac, & une jeune
fille en fourreau-de-tafetas-vert. Jamais encore mes
ieus n’ s’etoient
fixés sur un objet aussi mignon, plûs-touchant que la
jeune personne. Elle paroissait
quatorze-ans : un tendre incarnat
coloroit ses joues-de-lis ; sa taille
annonçait des contours déjà parfaits ;
son sourire était-enfantin, naïf, charmant, délicieus : il n’ fut jamais d'aussi-jolie-bouche. Je la regardais
avec admiracion… &c. &c… –
Que de traits d’union où il n’en
faut pas un ! que d'apostrophes pour
défigurer les mots ! en vérité, c’est bien
vouloir soumettre la langue aux bizarreries du
caprice. Ce n'est là qu'un foible tableau
de l’orthographe qui regne dans tous les ouvrages
de M. Rétif. J'ai ouvert moi-même plusieurs
volumes de ses Contemporaines ; j’avouerai que
je n'en ai jamais pu lire une page entière sans
beaucoup de peine. Si la manière d'orthographier
de M. Rétif de la Bretonne est jamais reçue, la
palme sera méritée à ce novateur, d'ailleurs
estimable.
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