Éditions PLEIN CHANT

Marginalia

26 janvier 2011

ANGOTIANA



Voici, extraites de Angotiana quelques pages formant un tout, publié au milieu d'anecdotes, de calembours, de mots pour rire et construit avec les titres des romans  les plus lus (par les femmes de chambre, dirait Stendhal) au début de l'Empire.



ANGOTIANA
ou suite des
Calembourgs comme s'il en pleuvoit.
Contenant les amours du Per-vertisseur, et
l'histoire du fameux Lagalisse; sa naissance, sa vie et sa mort, en 50 couplets.

Avec le portrait de Corsse dans madame Angot.
Septième édition. 

                                               Ça va-t-à la postérité.

A PARIS
Chez Barba, Libraire, Palais-Égalité,
Galerie derrière le théâtre de la République, n° 51
Et au Serrail du Grand-Seigneur.

1803.

Par Armand-Henri Ragueneau de la Chainaye
qui, dans l'édition précédente, donnait pour nom d'auteur l'anagramme Dauneur (graphie respectée).






 
  Angotiana, pages 68-72.

Chacun a son goût; moi, j’aime les romans, c’est ma fureur: aussi ne voit-on chez moi que romans dans ma bibliothèque, romans sur ma cheminée, romans sur ma table de nuit, romans dans ma garderobe, romans partout.
 Avec mes romans, je n’ai besoin de rien; je suis riche, je suis heureux avec mes romans. Que me manque-t-il en effet? des terres, des domaines? Est-il de plus belles propriétés que l’Abbaye de Munster, l’Abbaye de Grasville, l’Abbaye de Saint-Clair, dont je viens de faire l’acquisition? Est-il des jouissances plus douces que les miennes ? quand je veux me soustraire aux Astuces de Paris, je monte dans le Cabriolet d’une Merveilleuse, et je vais à la Campagne passer les Matinées du Printemps, dans mon Château d’Otrante, de Mortimor, ou d’Albert. Près de là est l’Église de Sainte-Siffride, où le Curé de Lansdown médite tous les matins la Messe de Gnide.
 Je déjeûne; je prends mon fusil, et je m’en vais à la chasse dans la Forêt de Livry. Suis-je fatigué! j’ai pour me reposer la Maisonnette dans les bois, où je puis goûter les Charmes de la Solitude et tous les Délassemens d’un homme sensible. Je vais ensuite dîner au Prieuré de Saint Bernard: là, dans le Jardin d’amour, j’ai le plaisir d’entendre l’Abbé Bazin, chanter les Petites Heures de Cythère, tandis que le ministre de Wakefield récite le Bréviaire des jolies femmes.
 À mon retour, le Compère Mathieu me fait des Contes Persans, des Contes Arabes, des Contes à dormir debout. Une Illustre Servante m’approche alors un Canapé; je prends mes Lunettes, et j’examine la Galerie des Femmes à travers 1’Optique du jour.
 Je veux me donner un Passe-Temps agréable, je me rends au sein de la Famille Napolitaine, qui habite dans mon voisinage la Maison murée, où je m’amuse à jouer avec les Enfans de l’Abbaye, les Enfans du bonheur, l’Enfant de la Forêt, l’Enfant du Carnaval, l’Enfant de la Sacristie. Quand tous ces petits polissons m’ennuient, je les envoie au Diable boiteux ou à l’École des Enfans.
 Quelquefois, je prends plaisir à faire des heureux, surtout dans ma famille: par exemple, j’ai marié dernièrement Mon oncle Thomas avec Jeanneton de la place Maubert. Quel  Mari sentimental! quelle  Femme de bon sens! Voilà comme on aime! Je donne, par mois, deux Soupers de Vaucluse. C’est alors que je réunis ce qu’on appelle la bonne société; elle est ordinairernent composée de la Princesse de Clèves, du Comte de Saint-Méran, de Milady Lindsey, du Prince Nègre, de Lady Almore Belmore, et des Barons de Feilsheim.
 Nous buvons dans la Coupe enchantéela Jardinière de Vincennes a soin de nous servir au dessert les plus beaux fruits de son verger.
 Je conte alors à mes convives ma Vie de garçon, et nous passons ainsi des Soirées amusantes. Cependant la Cloche de minuit sonne; nous descendons alors dans le Souterrain ou  la Caverne de la mort, pour y célébrer les Mystères d’Udolphe en l’honneur du Spectre amoureux, du Squelette ambulant, et des Esprits de la Montagne; pénétré d’un respect religieux, nous nous approchons du Confessionnal des Pénitens noirs, et nous allons, 1’un après l’autre, confesser dévotement au Moine, tous les Jolis péchés d’une marchande de modes. N’est-ce pas là, mesdames, Ce qui fait le bonheur?

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N o t e s   bibliographiques


L'Abbaye de Munster, par Samuel Egerton Leigh, traduit par L. Antoine Marquand, Paris, 1797.
L'Abbaye de Grasville, par George Moore, traduit par B. Ducos, Paris, Maradan, 1798, 3 vol. in-12.
La Forêt, ou l’Abbaye de Saint-Clair, traduction de The romance of the forest (Anne Radcliffe), Paris, Maradan, 1798, 4 tomes en 2 vol. in-18.
Les Astuces de Paris, anecdotes parisiennes, dans lesquelles on voit les ruses que les intriguans & certaines jolies femmes mettent communément en usage pour tromper les gens simples & les etrangers. Par M. N*** (P.-J.-B. Nougaret), A Londres, et se trouve à Paris, chez Cailleau, 1775.
Le Cabriolet, par Gabriel Mailhol, La Haye, 1760.
La Campagne, roman traduit de l'anglois par M. de Puisieux (Philippe-Florent de P.), Londres et Paris-Veuve Duchesne, 1767, 2 tomes in-8. Traduction de The campaign, a true story.
Les Matinées du printemps, par Mercier de Compiègne (Claude-François-Xavier M.), Paris, au bureau de librairie, 1797, 2 vol. in-12.
Le château d'Otrante, histoire gothique, par Horace Walpole, Amsterdam et se trouve à Paris Prault le jeune, 1767. Traduction de The castle of Otranto.
Le Château de Mortimore, conte Gallois, traduit de l'anglais, par le cit(oyen) M…
Le château d'Albert, ou Le squelette ambulant, traduit de l'anglais (The animated skeleton) par Cantwell (André-Samuel-Michel C.), Paris, Ancelle, 1799, 2 vol. in-12.
L'Église de Saint-Siffrid, traduit de l'anglais par L.-F. Bertin, Paris, Maradan, 1799, 5 vol. in-24. Traduction de The church of Saint Siffrid, par Jane West.
Le Curé de Lansdowne, ou les Garnisons, imité de l'anglais de Miss Dalton (The Vicar of Landsdowne or country quarters), par Regina Maria Roche (née Dalton), Paris, rue des Poitevins, hôtel Bouthillier, 1789, 2 vol. in-12.
La Messe de Gnide, ouvrage posthume de C. Nobody (Antoine Gilbert Griffet de Labaume), Genève, 1797.
La Forêt de Livry: nous n 'avons pas trouvé ce roman.
Alexis ou La Maisonnette dans les bois, manuscrit trouvé sur les bords de l'Isère, & publié par l'auteur de Lolotte et Fanfan (Ducray-Duminil) , A Grenoble, & se trouve à Paris, chez Maradan,1789. 4 vol. in-12.
Les Charmes de la Solitude: peut-être s'agit-il de l'ariette de Gluck (entre 1780 et 1800) qui porte ce titre.
Délassemens de l'homme sensible, ou Anecdotes diverses, par Baculard d'Arnaud, Paris,  1783-1787, 12 vol. in-12.
Le Prieuré de Saint Bernard, traduction de Saint Bernard's Priory, par Mrs Harley (1786).
Le Jardin d'amour, où il est enseigné la méthode et adresse pour trouver et bien entretenir une maistresse. Nouvellement dressé pour l'utilité de la jeunesse de l'un et de l'autre sexe. A Troyes et se vendent à Paris chez Jean Musier (s. d.). Pièce in-12. Publication populaire, éditée par des éditeurs différents, et à des dates différentes.
La Vie et l'œuvre de feu l'abbé Bazin, évêque de Mizoura en Mizourie, s.l., 1794 (il y eut plusieurs éditions). Attribué à tort (ou pour mieux vendre) à Voltaire, qui avait, en effet, utilisé comme pseudonyme le nom de l'abbé Bazin. Cet in-16 de 176 pages, qu'aurait confectionné Verdan (dont on ne sait rien), contient: Valentine, ou le vit coupé, poëme en sept chants; le chevalier d'Aigremont ou Histoire de l'anel qui fait roidir et allonger les vits; Fabliau d'où le conte précédent a été tiré; De l'ane qui faisoit les vits grans et roides, par Haisiaux; Le Consommé, conte.
Les petites Heures de Cythère, recueil de chansons, romances, vaudevilles, &c., Paris, Marchand, 1798, in-18.
Le Ministre de Wakefield, ou Histoire de la famille Primrose. Traduit de l'anglais, de Goldsmith, avec les poésies rendues en vers et quelques notes, par J.-G. Ymbert fils Paris, Lesguilliez frères, 1802. 2 vol. in-12. Le best-seller du temps!
Le Bréviaire des jolies femmes, par Mercier de Compiègne, 1799.
Le Compère Matthieu ou les Bigarrures de l'esprit humain, par l'abbé Du Laurens, Londres, aux dépens de la compagnie, 1777, 3 vol. in-8 (nombreuses éditions).
Il est probable que l'auteur renvoie, pour les Contes persans et les Contes arabes à des recueils  légers ou grivois, parus sous des titres plus précis. Quant aux Contes à dormir debout, nous n'en  avons trouvé nulle trace.
Costanza ou l'Illustre servante, nouvelle de Cervantès.
Le Canapé couleur de feu, par Fougeret de Monbron, Amsterdam, par la Compagnie des libraires, 1741.
Les Lunettes, conte en vers de La Fontaine.
La Galerie des femmes, collection incomplète de huit tableaux, recueillis par un amateur (Étienne de Jouy) Hambourg, 1799, 2 vol. in-12.
L'Optique du jour, ou Le foyer de Montansier, par Joseph R***y (Rosny) Paris, Marchand, an VII (1798-1799).
Le Passe temps agréable ou nouveau choix de bons mots, de pensées ingénieuses etc., Rotterdam, 1711 (nombreuses éditions et éditions augmentées).
La Famille Napolitaine, par Ellen d'Exeter, traduit de l'anglais par P.L. Le Bas, 1800, 4 tomes in-18.
Théobald Leymour, ou la Maison murée, par Charlotte de Malarme, 1799.
Les Enfants de l'Abbaye, traduction par André Morellet du roman anglais The children of the abbey, par Regina Maria Roche, 1797,  6 vol. in-12, 1797.
Les Enfants du bonheur, ou les Amours de Ferdinand et de Mimi, par S. Boulard (imprimeur-libraire), 1798, 3 vol. in-12.
Victor, ou L'enfant de la forêt, par Ducray-Duminil, Paris, Le Prieur, 1797, 4 vol. in-12.
L'Enfant du carnaval, histoire remarquable et surtout véritable, pour servir de supplément aux rapsodies du jour, par Pigault-Lebrun, 1792 (nombreuses éditions).
Frédéric et Jenny, ou L'enfant de la sacristie, par J.-M. G** Paris, au cabinet de Sombert, et chez Maradan,  an VIII, in-12. (Parodie de L'Enfant du carnaval de Pigault-Lebrun.)
On ne croit pas qu'il faille penser à Lesage, mais on ne voit aucun Diable boiteux destiné aux enfants.
École des enfans, ou Choix d'historiettes instructives et amusantes propres à former le cœur de l'enfance, lui faire haïr le vice et aimer la vertu, par Vincent Lombard de Langres , Paris, Garnery, an III, 3 tomes in-12.
Mon oncle Thomas, par Pigault-Lebrun, 1799 (nombreuses éditions).
Angélique et Jeanneton de la place Maubert, par Pigault-Lebrun, Paris, J. N. Barba, an VII (1798-1799).
Le Mari sentimental, ou Le mariage comme il y en a quelques-uns (par Samuel de Constant de Rebecque), suivi des Lettres de mistriss Henley, publiées par son amie, Madame de C*** de Z*** et de la Justification de M. Henley adressée à l'amie de sa femme (par Isabelle de Charrière),  Genève et Paris Buisson, 1785.
La Femme de bon sens, ou la Prisonnière de Bohême. Traduction de l'anglais, par B. Ducos, Paris, Maradan, 1798. 4 tomes in-18.
Voilà comme on aime: serait-ce une romance?
Les Soupers de Vaucluse, par M. R. D. L. (M. Renaud de La Grelaye), de plusieurs Académies, Ferney et Paris  Buisson, 1788, 3 vol. in-12.
Le Comte de Saint-Méran, ou les Nouveaux égaremens du cœur et de l'esprit (par Joseph de Maimieux), 1788, 4 t. en 2 vol. in-12.
Milady Lindsey, ou l'Épouse pacifique, par Charlotte Malarme, née de Bournon, Paris, Lepetit, 1799, réimpression des Lettres de Milady Lindsey…, Londres et Paris Cailleau, 1780.
Oronoko, ou Le prince nègre, traduit (par Pierre-Antoine de La Place) de l'anglois de Mme Behn (Aphra Behn), Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1745.
Les œuvres de Mme de La Fayette furent de nouveau publiées en 1786; Amsterdam, et Paris hôtel Serpente, 8 vol. in-12.
Lady Almore Belmore: nous n'avons trouvé ce livre répertorié nulle part.
Les Barons de Felsheim, histoire allemande, qui n'est pas tirée de l'allemand, par Pigault-Lebrun, Paris, chez Barba, 1797-1801, 4 vol. in-12.
La Coupe enchantée, comédie en un acte en prose par La Fontaine & Champmeslé (représentée au Théâtre-Français le 16 juillet 1688).
La Jardinière de Vincennes, par Mme de V*** (Gabrielle-Suzanne de Villeneuve), Londres, Paris Hochereau l'aîné, 1753, 5 tomes en 2 vol. in-12.
Les familiers du Coffret du Bibliophile ont lu Ma vie de garçon (Le Livre du Bibliophile, 1955), dont on ne connaît pas l'auteur (Caylus? Crébillon fils?); mais le titre est factice, car le texte est extrait d'un ensemble : Les Confidences réciproques ou Anecdotes de la société de Madame la comtesse de B*** (1774), dont aucune partie ne s'intitule Ma vie de garçon. Or, de Vie de garçon, antérieure à 1803, on n'en trouve signalée nulle part. On transmet le flambeau à  nos petits-neveux.
Les soirées amusantes, ou Recueil choisi de nouveaux contes moraux, Amsterdam, 1785,  3 vol. in-12.

La Cloche de minuit, traduction (ou bien le titre anglais est-il simplement traduit?) de The Midnight bell, par Francis Lathom (1798).
Le Souterrain, ou Mathilde, traduit de l'anglais de Sophie Lée, 1787, 3 vol. in-12.
La Caverne de la mort,  traduit (par Louis-François Bertin) de l'anglais (The cavern of death), Paris, Maradan, 1799, in-18 de 175 p. 

Les Mystères d'Udolphe, par Anne Radcliffe, traduit (par Victorine de Chastenay, P.-V., comte Benoist et J.-B.-D. Desprès) de l'anglais (The mysteries of Udolpho, a romance), Paris, Maradan, 1797, 4 vol. in-12.
Delphine, ou le Spectre amoureux, Paris, Le Prieur, 1797. Par Maugenet, pseudonyme d'A.P.F. Ménégault (qui se nomma encore (et entre autres) A.F. Matugène de Keralio.
Le squelette ambulant est le sous-titre du Château d'Albert,  cité plus haut.
Les Esprits de la montagne: on déclare forfait.
L'Italien ou Le confessionnal des Pénitens noirs, traduction, par André Morellet,  de: The Italian or The confessional of the black penitent, par Anne Radcliffe, Paris, Denné jeune, Maradan, 1797, 3 vol. in-12. La même année parut une autre traduction, intitulée: Eléonore de Rosalba ou Le confessionnal des pénitens noirs.
Le Moine, traduit de l'anglais (The Monk, par Matthew Gregory Lewis) par J.-M. Deschamps, J.-B.-D. Desprès, Benoit et P.-B. de Lamare, Paris, Maradan, 1797, 3 tomes en 2 vol. in-12.
Les Jolis péchés d'une marchande de modes, ou Ainsi va le monde, par P.-J.-B. Nougaret, Paris, Desenne, 1799.
Ce qui fait le bonheur: si les lecteurs de l'Empire ont trouvé le bonheur grâce à ce livre, nous n'avons, nous, pas trouvé le livre.

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