«
– Et là, dit à ce moment
Thomas, c'est la Bibliothèque ? En effet, dans la pièce
voisine, grande, carrée, des amas de
livres, de manuscrits, à même le plancher, en vrac,
comme déchargés d'un
tombereau. Cela forme des montagnes avec leurs
précipices, leurs falaises, leur
canyons, leurs pics, et une poussière aussi qui vous
chatouille le nez. Sur ces montagnes, assis,
des Lecteurs, très maigres, en
train de lire tout ça. Environ sept ou huit ? – Ah, la
Bibliothèque ! dit Gonzalo, la Bibliothèque,
quel casse-tête ! Une vraie malédiction !
Il s'agit bien là des
œuvres les plus précieuses, les plus hautement
respectées, émanant des génies
les plus rares qu'ait jamais engendrés l'Humanité,
d'esprits de toute première
grandeur, seulement voilà, mes amis, je n'y peux
rien, elles se mordent l'une
l'autre, se mordent et se dévaluent du fait de leur
profusion, ah il y en a
trop, beaucoup trop, et chaque jour il en arrive de
nouvelles, et personne ne
parvient à les lire… une orgie d'ouvrages, une
véritable orgie ! J'ai
engagé des Lecteurs et je les paie à prix d'or, car
j'ai honte que tous ces
livres moisissent là non lus, mais il y en a trop,
les Lecteurs n'arrivent pas
à tout lire même en s'y appliquant à longueur de
journée. Le pire, c'est que
les livres se mordent l'un l'autre et qu'ils
finiront par s'entredévorer comme
des Chiens. »
|
L'homme
qui écrit à votre place les livres que vous signez
vous l'appelez nègre, n'est-ce pas, nègre ou
teinturier, mais comment
appelez-vous celui qui lit à votre place ?
Michel Ohl.
|
|