La salade
russe a été composée par le chef cuisinier (russe
d'adoption) qui se cache sous le pseudonyme de Michel
Ohl.
Trois ingrédients, pour cette salade, plus du sel et du poivre: Pour connaître au moins les titres des livres
que ledit cuisinier rêve de concocter, cliquer ici.
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S A L A D E R U S S E |
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«On peut marcher sans
tête» a dit Xavier Forneret, et moi je dis: on peut lire
en comptant, les «Monte-Cristo» du Comte de Monte-Cristo
par exemple (il y en a 1220), ou les «mer» dans Poe* (240),
ou Dieu sait quoi encore, ça n’est pas les choses à
compter qui manquent, on compte les «Marie» de Marie de Brizeux
(53) et on est content… En 1999, en vacances aux Pyrénées,
au lieu de courtiser la belle mère Nature, j’ai relu Guerre et Paix du
comte Tolstoï en comptant les «guerre» et les «paix», dans
la traduction d’Élisabeth Guertik, qui se compose de 4
tomes de 3, 5, 3 et 4 parties, et d’un Epilogue de 2
parties, soit 17 parties (éd. de Crémille 1969).
Si guerre marque un but à
chaque apparition, et paix aussi, alors voici:
Guerre gagne 15 parties et paix une, et il y a un match nul: Tome
premier
1. guerre bat paix 32 à 3 2. guerre bat paix 21 à 7 3. guerre bat paix 11 à 2 Tome deuxième 1. guerre - paix : 6-0 2. guerre - paix : 10 à 7 3. guerre - paix : 7 à 1 4. guerre - paix : 1 à 0 5. guerre, 5 - paix, 3 Tome troisième 1. guerre bat paix 65 à 22 2. guerre bat paix 65 à 7 3. guerre bat paix 13 à 3 Tome quatrième 1. guerre bat paix 4 à 0 2. paix bat guerre 5 à 4 3. guerre bat paix 21 à 0 4. guerre - paix : 12 à 3 Épilogue 1. guerre et paix match nul 5 à 5 2. guerre bat paix 9 à 0 Guerre
bat Paix 291 à 68
Les 21 «guerres» apparaissant çà et là ne comptent pas dans le score. La première partie de l’Epilogue, où l’on retrouve les personnages dans leur vie de famille sept ans après, est une vraie catastrophe. Ils ont tous perdu leur charme et frisent le cucu. Le match nul s’explique. (On peut rire de tout, mais attention de ne pas se retrouver le nez enfoncé dans son propre rire… En fin de compte, Guerre et Paix, c’est quelqu’un! «Sidorov cligna de l’œil
et, s’adressant aux Français, se mit à bredouiller à
toute vitesse des mots incompréhensibles:
"Kari, mala, tafa, safi, mouter, kaska, baragouinait-il en s’efforçant de rendre sa voix expressive. - Ho ho, ho! Ha, ha, ha, ha! Ouh! Ouh!" Les soldats éclatèrent d’un rire si sain et joyeux qui, à travers les lignes, se communiqua malgré eux aux Français, qu’après cela il ne restait plus, semblait-il, qu’à décharger les fusils, à faire sauter les munitions et à rentrer au plus vite chacun chez soi. Mais les fusils demeurèrent chargés, les meurtrières des maisons et des retranchements étaient toujours aussi menaçantes et les canons enlevés des avant-trains restaient dirigés les uns contre les autres.» Tome I, 2e partie, chapitre XV). |
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* Michel Ohl, La mer dans Poe, Co-édition Opales-Pleine Page, Bordeaux, 1994. (Retour) |
Deux tonnes et demie de
livres avalés, dont sept ou huit cents kilos de romans
russes, où a bien pu passer tout ça? ainsi ruminais-je,
blotti en la feuillée, lorsqu’une voix prononça ces mots:
«Tolle, lege»,
tandis qu’une main me tendait du papier bible des
Papeteries Jeand’heurs.
«M. Charrière a fait de
moi Dieu sait quoi… j’ai dit à un endroit: «Je
m’enfuis»; il traduit ces trois mots de la manière
suivante: «Je m’enfuis d’une course folle, effarée,
échevelée, comme si j’eusse à mes trousses toute une
légion de couleuvres, commandées par des sorcières»… …
Un arbre qui tombe se transforme en «un géant chevelu
qui s’était ri des assauts séculaires de plusieurs
milliers d’insectes, et qui s’incline solennellement et
sans hâte vers la terre, sa vieille nourrice, comme pour
l’embrasser, en expirant sous la morsure d’un fer
tranchant, emmanché par l’homme d’un fragment de bois
que l’arbre avait peut-être fourni lui-même.» (1)
J’en débourrai de rire
dans mon coin, et la voix cria: «TRADUTTORE, TRADITORE»,
et la main me fourra sous le nez un autre bout de bible:
«Dans la futaie voisine retentissait le bruit sourd des cognées; de temps à autre, un géant chevelu s’affaissait, et sa chute, majestueuse et lente, semblait un salut, les bras ouverts.» (2) (3)
et je me reloquai, et je
vidai les lieux, Trahit
sua quemque voluptas (4), tu parles d’une
églogue, mais j’avais beau frimer, j’étais au plus bas et
ma carrière de traducteur à sensations exquises
s’épanchait à mes pieds, j’y marchais dedans, et j’y
cherchais un nom, à ce traducteur, un nom stupide,
grossier, ridicule, un nom honteux qui exprimerait au plus
juste son cursus foireux, à ce trouduc, Trouduc ? va pour
Trouduc, Triste Prose – traduc Trouduc… eh non, cré nom,
ça n’est pas ça que je voulais faire.
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1 - Ivan Tourguéniev, Romans et nouvelles complets,
I, Bibliothèque de la Pléiade, 1981. Notice des Mémoires d’un chasseur,
pp. 1118-1119.
2 - «L’arbre qui tombe», dans l’édition de la Pléiade, page 293. 3 - Vladimir Nabokov, Pnine, Gallimard, 1962. Traduit de l’anglais par Michel Chrestien. Page 89. 4 - Chacun a son penchant qui l’entraîne, Virgile (Églogues, II, 65) et Larousse (pages roses). |
Pouchkine, Œuvres complètes,
tome III, André Bonne Éditeur, 1958, page 726. «Remarques
et aphorismes d'années diverses». Note et traduction de la
partie russe: Jacques Lépissier.
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