Louis Guilloux, En mon bel
âge…
Revue Plein Chant, n° 11-12, p.
215.
Paru pour la première fois dans Empédocle,
n°1, 1949.
On est à la
fin de la guerre de 14-18. Louis Guilloux, réformé,
cherche du travail et pense devenir employé de bureau
dans les services de l'Armée. Il lui faut passer un
concours, et au moment de la rédaction imposée: Dresser le portrait d'un
permissionnaire qui retourne au front, sa rage
antimilitariste, nourrie par des souvenirs encore tout
chauds et pas vraiment guerriers, prend le dessus
sur le désir d'être embauché par l'Armée.
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Et voilà que je pris ma plume… Ah! ils voulaient un beau permissionnaire, bien pommadé, bien pomponné, frais comme l'aurore, un pour qui la guerre serait du sport, un qui ne se serait pas enrhumé une seule fois depuis qu'il vivait au grand air, et que la vie saine des tranchées aurait même fait engraisser, un boute‑en‑train, un joyeux drille, malin, par‑dessus le marché, et jouant des tours à ces imbéciles de gros teutons, mais de si bons tours qu'on crevait de rire à 1'entendre. Ah! l'animal! Ah, le cochon! avec des as pareils, on pouvait dormir tranquille, allez! Un vrai de vrai, quoi, un pilier de tranchées, qui aurait passé sa permission à compter les jours, mais par impatience d'y retourner. Et qui aurait quand même trouvé le moyen de faire un gosse à sa femme, parce qu'il faut penser à tout, et même au repeuplement. Et la croix de guerre. Et les citations, les brisques. Trois fois blessé. S'en foutait pas mal! Et Rosalie par ci, et la Madelon par là. Nénette et Rintintin. On les aura. Et le père La Victoire à cheval. C'était ça qu'ils voulaient? Nom de Dieu! Ils allaient en avoir pour leur argent. Ma plume volait, désormais, griffait, trouait mon papier, rien n'était trop beau - Ah, je n'épargnais pas ma peine. Salauds! Ils pourraient la faire encadrer ma copie, 1'envoyer à Maurice Barrès. Ah, les vaches, si après ça ils m'acceptaient dans leurs bureaux… Mais le temps pressait. Monsieur l'Employé taquinait sa montre de plus en plus souvent, et, bientôt, de sa voix sèche et péremptoire, il annoncerait: Terminé. Or, de nouveaux enjolivements me venaient en masse. J'inventais des mots historiques ‑ 1'enfance de l'art! J'en remettais, pour parler franchement, et tant et tant qu'en fin de compte Monsieur l'employé annonça: Terminé! Et que je dus quitter mon permissionnaire en pleine gloire ‑ et presque à regret. Je quittai cette préfecture allègrement, tout en me disant moi‑même que mon glorieux petit bout de prose n'allait pas manquer d'attirer sur mon compte, et sans grand retard, une enquête de police: c'eût bien été la moindre des choses. Sans forfanterie, je me sentais 1'esprit léger, le cœur à l'aise et la conscience en repos, le pied vif… Advienne que pourra, pensais‑je ‑ et comme il est désormais bien clair qu'ils ne m'ouvriront pas les portes de leurs bureaux, je ferais mieux, me disais‑je, de songer un peu sérieusement à ce grand Paris de mes rêves. Paris! |
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Eh bien!
si, Guilloux fut embauché. Et son supérieur
hiérarchique, un militaire gradé, le félicita pour ses
dons littéraires. Comme quoi, le père Noël existe.
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Louis Guilloux. Apparition,
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