2017
Voix d'en bas 21 € ISBN 978-2-85452-334-8 |
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Charles Denby
Cœur indigné
Autobiographie
d'un ouvrier
noir américain. Petit-fils d'esclaves, Charles Denby
(1907-1983) passe son enfance sur une plantation de
coton de l'Alabama avant d'aller chercher du travail
dans les usines automobiles de Detroit, dans le
Michigan, où il deviendra un militant syndical
pugnace. Sur la plantation, la grand-mère raconte ses
souvenirs du temps de l'esclavage, les métayers noirs
se défendent comme ils le peuvent contre les exactions
des propriétaires blancs, et les jeunes partent vers
le Nord où ils espèrent échapper au racisme et à
l'exploitation. Mais dans les usines du Nord, les
Afro-Américains sont relégués aux postes les plus
durs, les moins qualifiés et les plus mal payés — et
les dirigeants syndicaux les incitent surtout à
prendre patience. Alors Denby apprend à se battre. En
pleine Seconde Guerre mondiale, il organise une grève
sauvage dans son atelier, ce qui lui vaut d'être
repéré par des militants communistes et trotskistes
locaux. Les années 1943 à 1951 sont des années
d'apprentissage syndical et politique — et de
confrontation directe aux multiples formes du racisme
à l'usine et dans les groupes politiques. En 1948, Denby se lie avec les membres d'une
fraction d'opposition qui rompra bientôt avec le
trotskisme : la tendance Johnson-Forest. Johnson
était le pseudonyme de l'intellectuel et militant
antillais C.L.R. James (1901-1989) qui vivait aux
États-Unis depuis 1938 ; Forest était celui de
Raya Dunayevskaya (1910-1987), militante socialiste
née en Ukraine, qui avait été brièvement secrétaire de
Léon Trotski à Mexico en 1937. Le petit groupe qui se
rassemble autour d'eux développe une analyse critique
de la réalité des rapports de production en Union
soviétique et met en question la nécessité d'un parti
de révolutionnaires professionnels. Par de nombreux
aspects, l'évolution de la tendance Johnson-Forest est
proche de celle du groupe français Socialisme ou
Barbarie qui se constitue à la même époque. Dans la
lignée de l'enquête ouvrière conçue par Marx en 1880,
le groupe américain s'efforce de susciter des
témoignages en provenance de différentes composantes
de la classe ouvrière et Denby est encouragé à
raconter ses expériences de prolétaire noir. Dans la première partie de ses souvenirs, parue
en 1952 sous le pseudonyme de Matthew Ward, Denby fait
revivre avec force détails le monde à la fois violent
et solidaire de la plantation avant de relater ses
nombreuses expériences de prolétaire afro-américain
dans le Sud ségrégationniste et dans le Nord
industriel. Mais qu'il s'agisse d'une plantation de
coton en Alabama dans les années 10, d'une usine
de construction automobile à Detroit dans les
années 20, de la ville de Montgomery dans les
années 30 ou d'une usine de guerre dans les
années 40, c'est sans aucun misérabilisme que
Denby évoque ces mondes où règnent l'oppression
raciale et l'exploitation économique. Avec un talent
de conteur qu'on sent nourri d'une riche tradition
orale, il fait la chronique des multiples actes de
résistance plus ou moins ouverte par lesquels les
exploités contre-attaquent. Certaines histoires ont
sans doute été racontées plus d'une fois et
l'auditoire a dû se réjouir comme nous de tels et tels
tours joués par ceux qui n'ont rien à ceux qui se
croient tout puissants. La seconde partie du livre, publiée en 1978 à
la suite de la réédition du texte de 1952, nous fait
pénétrer dans un monde nouveau. Les premiers chapitres
racontent le boycott des bus de Montgomery, point de
départ du Mouvement pour les droits civiques des
Afro-Américains dans les années 50 et 60. Ces pages
font écho au récit haut en couleur que faisait Denby,
dans la première partie du livre, de sa propre révolte
dans un bus de Montgomery vingt ans auparavant. Mais
cette fois-ci, il ne s'agit plus d'une révolte
individuelle et ponctuelle mais bien d'un mouvement
massif de lutte contre l'ensemble des règles de la
ségrégation dans les États du Sud. Dès le début, Denby
s'implique fortement dans ce mouvement, retournant
dans le Sud chaque fois qu'il le peut, rencontrant
Martin Luther King, Rosa Parks et bien des anonymes
dont les actes courageux mettaient en question tous
les aspects d'un système d'oppression séculaire. En
1955, Denby devient rédacteur en chef d'un journal
ouvrier, News and Letters, dans lequel il rend
compte, tout au long des années 50 et 60, des
luttes du mouvement de libération noir et de ses
débats internes. Ouvrier de production dans
l'industrie automobile jusqu'à sa retraite en 1973,
il observe aussi attentivement les conséquences de
l'automatisation sur les conditions de travail dans
les usines et les formes que prend la révolte contre
cette soumission de plus en plus contraignante de
l'homme à la machine. En 1973 comme en 1943, il est
du côté de ceux dont la révolte se traduit par des
grèves sauvages échappant au contrôle d'une
bureaucratie syndicale contre laquelle il n'a cessé
de se battre.
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