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Eugène Montfort, fondateur de la revue Les
Marges, et
Apollinaire avaient à la fin de 1908 ou au début
de 1909 préparé ensemble l’apparition de Louise
Lalanne dans la revue – une femme à qui serait
dévolue la critique de romans de femmes ou de
livres sur les femmes. Montfort raconta l’histoire
dans La Véritable Histoire de Louise
Lalanne ou le Poète d’"Alcools" travesti en
femme (16
pages, agrafé, Les Marges, s.d. [1936]) ; en
frontispice, le portrait d’Apollinaire, photographié chez
Eugène Montfort en 1911, allongé
sur un sopha comme le serait une femme. Cinq
articles et un articulet parurent, que l’on peut
lire dans les Œuvres en prose complètes d’Apollinaire,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, pp.
919-933, où l'origine du pseudonyme, le nom de Ludovic
Lalanne, est confirmée.
L O U I S E
Louise Lalanne, qui se présente en lectrice
précoce et passionnée de la comtesse de Noailles
(« La littérature féminine », janvier
1909), va émettre dans le numéro de mars 1909 des
avis péremptoires sur Colette et Lucie
Delarue-Mardrus, auteur de Marie, fille-mère, roman (Eugène
Fasquelle), et dans la foulée sur son mari, le
docteur Mardrus, qui venait de faire paraître en
1908, chez le même éditeur, une traduction
controversée des Mille et Une Nuits ( Le livre des mille
nuits et une nuit, traduction littérale et
complète du Dr J.-C. Mardrus). De Colette, dont Louise
vient de lire Les Vrilles de la vigne, sont évoquées les
liaisons féminines mais admirés des rapports
respectueux avec la grammaire. Apollinaire oublie,
le temps d’une phrase, être Louise Lalanne pour
retrouver une liberté d’expression toute masculine
et comparer Colette à la colombe qui « lâche
sa crotte […] sur le passant et c’est blanc avec
un peu de noir-vert comme une page
imprimée… » Jane Catulle-Mendès, qui venait de faire paraître chez Lemerre Le Cœur magnifique, échappe dans Les Marges de mai 1909 aux critiques acerbes auxquelles furent soumis les deux Mardrus : « Il n’y a pas d’hommes […] qui fasse des poèmes où l’ont trouve tant de splendeur et de force ». En juillet, Apollinaire-Louise jongle avec les pensées féminine et masculine, car il traite de « La littérature féminine jugée par deux hommes », Julien Bertaut, auteur de La Littérature féminine d’aujourd’hui, et Jean de Bonnefon, dont La Corbeille des roses ou les Dames de lettres était parue aux éditions de Bouville et Cie. On oublie un instant Louise pour signaler cette féminisation toute conventionnelle de l'expression homme de lettres, et rappeler qu'une femme, Rachilde, trouva une expression délibérément inconvenante pour qualifier Jarry, devenu Le Surmâle de lettres (Bernard Grasset, 1928). Retour aux Marges.
Bertaut,
« que la moindre audace venant d’une femme
scandalise, n’a pas osé aborder [… le point de]
l’influence de la littérature féminine
d’aujourd’hui sur la littérature
masculine ». Quant à Jean de Bonnefon, sa
critique n’aurait aucune valeur, mais il est
loué pour avoir « su reconnaître les
tendances vers la liberté qui caractérisent la
littérature féminine d’aujourd’hui ».
En octobre 1909, Louise traîne Marcelle Tinayre
dans la boue à l’occasion de L’Ombre de
l’amour, un
roman paru dans La Revue de Paris, juillet-septembre
1909. La dernière contribution de Louise Lalanne,
en novembre 1909, sera brève : quatre lignes
pour vanter Sibylle mère, par Renée d’Ulmès
(Renée Rey), paru chez Lemerre. La supercherie avait duré un an. Dans Les
Marges du 15
janvier 1910, une note censée être d’Eugène
Montfort mais rédigée peut-être par Apollinaire,
disait : « Une fâcheuse nouvelle à
apprendre aux lecteurs des Marges : Mlle Louise
Lalanne vient d’être enlevée par un officier de
cavalerie […] Inutile de dire qu’aux Marges, nous ne badinons pas
sur le chapitre de la vertu […] nous craignons
fort que cet écart si regrettable interrompe une
carrière littéraire très brillamment
ouverte ». Puis l’auteur de la note
redescendait sur terre : « Nous
connaissions le souple et intelligent talent de
Guillaume Apollinaire. Nous lui demandâmes s’il
consentirait à se déguiser en femme pendant
quelque temps. L’idée l’amusa et il
accepta ». Apollinaire s'était amusé à
utiliser un style de bas-bleu, mais
il avait maintenu son
appartenance au sexe masculin en
choisissant
pour pseudonyme le nom
de Ludovic – forme
ancienne de Louis –
Lalanne, un
auteur qu'il
avait appris à
connaître grâce aux
livres. L U D O V I C LALANNE Apollinaire, un des piliers de la collection
« Les Maîtres de l’amour » à la
Bibliothèque des curieux, fut un rat de bibliothèque
familier de la Bibliothèque Nationale,
travaillant avec l’esprit d’un archiviste qui serait
en même temps amateur d’anecdotes et de curiosités
littéraires. Tel fut Ludovic Lalanne, à l’origine du
pseudonyme, bien
que sa personnalité n’eût rien de la truculence et
du lyrisme à la fois d’Apollinaire. On le disait
timide et il restait froid devant les honneurs,
refusant d’être présenté pour (comme on disait) la
légion d’honneur :
l’Introverti et l’Exubérant. Ludovic Lalanne (Ludovic, Marie Chrétien-Lalanne qui réduisit, ou laissa réduire par l’usage, son patronyme à Lalanne), né et mort à Paris (1815-1898), entra à l'École des Chartes pour en sortir archiviste paléographe en 1841. Sa carrière était toute tracée, il devint bibliothécaire en chef de l'Institut, tout en publiant de nombreux ouvrages d’histoire ou de littérature. On omet les nombreuses éditions d’auteurs
des XVIe et XVIIe
siècles – dans le désordre, Agrippa d’Aubigné,
Brantôme, Madame de Sévigné, Bussy-Rabutin, Charles
Sorel (Les Loix de la galanterie, 1644, A. Aubry, 1855,
in-18, X-30 p.), Malherbe, – pour retenir les
livres dont l’esprit pouvait séduire Apollinaire.
Le premier d'entre eux fut Curiosités
littéraires,
paru en 1845 chez Paulin, libraire-éditeur 60, rue
Richelieu, sans nom d’auteur, dans la collection
« La Bibliothèque de poche », fondée par
« une société de gens de lettres et
d’érudits » et limitée à dix parutions
consacrées aux « Variétés curieuses et
amusantes des sciences, des lettres et des
arts » ; les titres commençaient
toujours par le mot Curiosités, pour attirer l’œil des
bibliophiles. Les exemplaires, de format 10,5 x 16,7,
pouvaient se glisser dans une poche, et « de
poche » ne signifiait pas, comme aujourd’hui,
qualité matérielle au-dessous de la médiocrité. Curiosités
littéraires
qui inaugurait la collection, fut suivi la même
année par Curiosités bibliographiques. Viendront en 1846 Curiosités
biographiques, par l'auteur des Curiosités
littéraires –
(troisième volume de La Bibliothèque de poche),
lui-même suivi en 1847 par Curiosités
des traditions, des mœurs et des légendes, numéro 4 de La
Bibliothèque de poche, le nom de Ludovic Lalanne
donné pour la première fois en couverture. En
1855, Paulin
s'associe
à Le Chevalier, et la
collection est close à la fin de l’année, après la
publication de six Curiosités… en un an – aucunes
d'entre elles n'ayant Lalanne pour auteur, tout au
moins
officiellement. Adolphe
Delahays, continuateur de La Bibliothèque de poche
devenue Nouvelle Bibliothèque de poche, republia
en 1857 les Curiosités littéraires et les Curiosités
bibliographiques, et en 1858 les Curiosités
biographiques.
Les trois livres affichaient maintenant le nom de
Ludovic Lalanne, mais en petits caractères, alors
que ceux de « Bibliothèque de poche », en
haut de page, sautaient dans l’œil. Ludovic Lalanne fut, de mai 1853 à 1856,
directeur-gérant de L’Athenæum
français, journal universel de la
littérature, de la science et des beaux-arts,
fondé en 1852. Au numéro du 5 janvier 1856, p. 13,
on lisait un article sur
« Les bonbons au Moyen Âge », par
Francisque-Michel,
professeur à la Faculté de Bordeaux, qui entrait
dès le début dans le vif du sujet :
« Les bonbons étaient-ils connus dans
l’antiquité ? le sucre, oui ; les
bonbons, je ne le crois pas » et terminait
par « les bonbons comme les dissertations
finissent par être indigestes, et je crains
d’avoir déjà valu cette épithète à la mienne. Je
me hâte donc d’y mettre fin. » Et l’on suivra
ici l’exemple de Francisque Michel. |
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