Collection GENS SINGULIERS Décembre Alonnier Typographes & gens de lettres Nouvelle édition enrichie d'illustrations et d'un glossaire-index par Martin du Bourg BASSAC Plein Chant, Imprimeur-éditeur de la petite Librairie du XIXe siècle 2002 |
Typographes et gens de lettres parut chez Michel Lévy frères en 1864, signé d'un nom d'auteur, Décembre Alonnier, qui cachait (à demi), Joseph Décembre (1836-1906) et son beau-père, Edmond Alonnier (1828-1871). Cela, et bien d'autres choses encore, les lecteurs l'apprendront en consultant le glossaire-index ajouté en 1992, lors de la réimpression du livre aux éditions Plein Chant en 1992. À vrai dire, cette édition illustrée et annotée par Martin du Bourg n'a plus grand-chose à voir avec l'édition du XIXe siècle, car si le texte est reproduit à l'identique, les illustrations (le texte de 1861 n'en offrait aucune, trop grand luxe pour une édition ordinaire) insérées dans le texte reproduit en 1992, donnent à voir graphiquement ce qui est saisi par le biais des phrases, enrichissant une compréhension qui sans elle resterait trop abstraite. Le glossaire-index, délibérément succinct, présenté sur deux colonnes et dans un corps plus petit que celui du texte, fournit mille informations. Et là encore, les illustrations diverses, portraits officiels ou caricatures, gravures documentaires, couvertures de livres ou de brochures changent le niveau de perception des pages imprimées. Le livre, qui se
voulait fantaisiste (traduire :
en aucune manière didactique ce qui l'aurait rendu
ennuyeux), fait la part belle aux anecdotes, et le
décalage de temps qui nous les donne à lire plus de cent
ans plus tard ne les rend que plus intéressantes.
Catulle Mendès demandait que le metteur en pages
mît des notes de musique au-dessus des dialogues de sa
nouvelle L'homme à la
Voiture verte. Cela paraissait une
exigence folle :
cela ne l'est plus, grâce aux moyens d'impression
modernes. Imprimer des ouvrages
ordinaires sur du papier
de couleur ou avec des ornements se faisait à
l'occasion, mais selon des principes stricts, une
symbolique figée :
le rose, par exemple, était obligatoirement réservé aux
ouvrages badins ;
le summum de l'ornementation se résumait à des
cadres à filets bleus. « Il en est [des
imprimeurs] qui font leur titre en travers » remarquent les
auteurs, éberlués : qui serait aujourd'hui
choqué,
ou même simplement surpris de voir un tel titre ?
Les anecdotes peuvent être plus instructives que ne le
voulaient les auteurs. Lorsque la chambre des pairs
rejeta la loi sur la presse dite loi d'amour (1827), un
imprimeur, dans son atelier, se leva, une pile
d'assiettes dans chaque main, et les laissa tomber pour
les casser. Il faut savoir que la casse désigne la caisse où les
typographes rangent leurs caractères ; faire sa casse signifiait
composer une
page. « Tout le monde parle de la presse et
personne ne parle de la casse »,
dit le casseur d'assiettes, « eh bien, je porte
un toast à la liberté de
la casse ! » Très bien, mais sans le
glossaire, où le mot casse
est défini, le lecteur risquait l'incompréhension; la
loi d'amour n'étant peut-être pas toujours présente à la
mémoire d'un lecteur contemporain, il suffira audit
lecteur de se reporter au glossaire-index. Plusieurs
pages sont consacrées à l'homme de conscience, dit plus
brièvement la
conscience. En gros, il était l'adjudant de
l'atelier, sujet, donc, de nombreuses anecdotes. Mais
pour nous, les historiettes s'effacent devant la
fonction, et comprendre quel était au XIXe
siècle son rôle à l'atelier nous paraît surpasser en
intérêt quelques plaisanteries. Les auteurs ne pouvaient
pas savoir que leur typologie des libraires prévoyait,
implicitement, la délocalisation :
« Qu'est-ce qu'un libraire ?
C'est un marchand de livres […] [qui] ferait imprimer
ses ouvrages à Pékin si
les imprimeurs ne lui prenaient que quinze pour cent
d'étoffes ». Cela
tombe bien, en 2011 ; mais cependant, quinze pour
cent d'étoffes ? Il suffit de consulter le
glossaire à l'entrée étoffes,
et l'on apprend que le mot représente l'intérêt que
l'imprimeur doit tirer des ouvrages imprimés et
qu'il calcule en dehors de ses prix courants. Lire Typographes et gens de lettres ouvre
des fenêtres, et en certains cas, malgré ses auteurs.
Ils n'ont pas aimé du tout une brochure parue en
1861, qu'ils citent en abrégeant son titre: Caboulots.
Si le lecteur curieux retourne aux sources, il ne pourra
que remercier Décembre Alonnier de la lui avoir fait
connaître.
Devrait-on conclure
de manière aussi pessimiste que Décembre
Alonnier ? « Il est temps
de crayonner
l'imprimeur, car, avant quelques années, il en sera de
lui comme des
diligences, du papier à bras, etc. Peut-être lui
décernera-t-on les honneurs du
Musée de Cluny ». On préfère une anecdote
douce-amère : « "Vous
lisez, monsieur, vous ne serez jamais libraire", disait
à son commis qu'il
venait de prendre en flagrant délit de lecture un vieux
libraire, partisan des
antiques traditions. Peccatier comprit que sa muse
étoufferait dans la
poussière des bouquins de Madame Desbleds [la veuve d'un
éditeur de colportage,
quai des Grands-Augustins], et il envoya la librairie
par-dessus les moulins ».
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