Éditions PLEIN CHANT

Marginalia






Frédéric Lachèvre, dans un article
du Bulletin du bibliophile (une première partie parut dans le numéro du 20 juin 1931), exhumait un poète inconnu, né en 1782, mort en 1832 : Jean-Pierre Brès, et donnait l’article à lui consacré par la Biographie Michaud : fils d’un négociant de Limoges, de toute évidence doué pour les lettres, également doué pour le dessin, il enseigne, à dix-sept ans, le français, le latin et le grec au collège d’Issoire. À vingt ans, il commence des études de médecine auprès de Dupuytren, puis les abandonnent, par dégoût. Il devient, en 1812, précepteur, enseignant aux deux fils du comte Chabrol de Crouzol, alors en Illyrie, le latin, le grec, les mathématiques, le dessin. Revenu à Paris en 1814, il est employé dans les bureaux du préfet de la Seine, il donne des cours çà et là, il écrit des livres destinés aux enfants, des livres d’étrennes en particulier, ainsi  Le Livre joujou, qui commençait la longue série des livres avec des images à faire bouger (1). En 1823, il devient rédacteur pour la Revue encyclopédique ; neuf ans plus tard, il meurt du choléra.

Parmi ses productions, on retient :

     Les Paysages, 1821 (2e édition, 1824 ; 3e éd., 1826), une suite de poèmes composés d’après la Théorie du paysage, ou Considérations générales sur les beautés de la nature que l'art peut imiter et sur les moyens qu'il doit employer pour réussir dans cette imitation, par Jean-Baptiste Deperthes ( Lenormant 1818), dont Brès donna des extraits dans la 22e livraison de la Revue encyclopédique. Le terme paysage, employé pour qualifier un tableau peint, Brès veut le transposer dans le domaine poétique et faire, à la manière de l’idylle ou de l’églogue des poètes latins, des petits poèmes qui décrivent des lieux, mais selon des genres différents : on aura ainsi des poèmes-paysages champêtres, mais aussi héroïques ou historiques, ou encore fantastiques, ouvrant sur des horizons imaginaires à la manière de La Forêt enchantée au 13e chant de la Jérusalem délivrée.

     Lettres sur l’harmonie du langage, 1821, 2 vol. in-18.

     L’Abeille des jardins, en prose et en vers, 1822, in-18, illustré de 8 dessins de jardins par l'auteur.

     Bibliothèque du promeneur, 1823, un florilège poétique, de Marot à Delille.

     Simples histoires trouvées dans un pot à lait, 1825, 8 cahiers in-12 renfermés dans une boîte.

     Myriorama, ou Collection de plusieurs milliers de paysages différents, dessinés par l’auteur, 1823, in-18. Myriorama n’est pas un livre, mais un jeu de 32 cartes dont chacune représente un fragment de paysage : au lecteur le plaisir de combiner les cartes entre elles selon des règles imposées, pour former « des milliers de paysages ». Sur le même principe, on eut le Musée des paysagistes, Collection de 16 546 paysages d’après les plus grands maîtres, 1826, grand in-8° de 4 pages et 9 planches coloriées, contenues dans une boîte. Chaque planche se divise en quatre parties dont chacune doit être collée sur un carton ; le mélange des 36 cartes permet de combiner les 16 546 paysages annoncés.

     Componium pittoresque, Collection de plusieurs milliers de paysages dans divers genres, accompagnée d’un Traité élémentaire du paysage, in-18. « C’est un tableau composé de trente-six fragments dans un étui, au moyen duquel on peut composer deux fois autant de paysages différents qu’il y a de mots dans la langue française… Trois fragments quelconques, pris au hasard, forment un ensemble, après avoir été placés dans un cadre appelé passe-partout. » (Durozoir, l’auteur de l’article de la Biographie Michaud).

     Un almanach, Le Voyage pittoresque et romantique sur la cheminée, 1828, in-18.

Et le point de merde ? On y vient, pas à pas. Frédéric Lachèvre, dans l’article cité, donne des passages de fragments parus dans quatre numéros du Feuilleton littéraire (n° 49, 18 avril 1824 ; n° 65, 5 mai ; n° 71, 11 mai ; n°76, 16 mai), traitant de la langue et de la ponctuation romantique. Le romantisme, Jean-Pierre Brès ne l’appréciait guère ; et si peu qu’il avait publié, l’année précédente, une satire intitulée « Règles du genre romantique » (Tablettes romantiques, Paris, Persan, 1823, p. 3) où il se moquait, assez allègrement bien qu’en alexandrins à la Delille, de ce nouveau genre littéraire :

(…)
Décrivez lentement le brin d’herbe qui pousse :
Souvent le romantique est caché sous la mousse ;
Mais, quand vous l’y cherchez, faites que le poignard
Dans la main d’un bandit se montre à mon regard.
(…)

Jean-Pierre Brès n’eut pas assez de vers pour se moquer de la ponctuation — romantique, bien entendu. Déjà, dans le numéro de juin 1816 du Mercure de France il avait publié des stances (?), intitulées Les Points, avec cette épigraphe : Pro uno puncto, Martinus perdidit… (2).




L’art de mettre des points a pris un nouveau lustre,
Me dit un jour l’auteur d’un mélodrame illustre ;
Et lorsque tout décroît, notre siècle, du moins,
A perfectionné l’art de placer les points.

De l’exclamation le point noble et sublime,
Pour terminer un vers vaut la plus belle rime ;
Un mot qui semblait nul, grâces à son secours,
Peut occuper six mois un penseur de nos jours.
Combien cet heureux point a fait verser de larmes !
Et dans une syllabe a dévoilé de charmes !

De ce point redoublé qui ne sait le pouvoir !!!
En lui semble caché le grand art d’émouvoir.
On a vu maint auteur (quel effort du génie !!!!!!)
Armer de trente points un vers de comédie !!!
Et sous leurs traits puissans, qui savent tout dompter,
Foudroyer le lecteur, qui ne peut les compter !!!!!!!!!

 O ! qui pourrait suffire à nous faire l’éloge
De ce point noble et fier qui demande, interroge ?
Lorsque, multipliant ses crochets précieux,
Il semble interroger et la terre et les cieux,
Qui ne sent son pouvoir ????? Chez quels peuples barbares
Le cœur est-il muet à des beautés si rares ????????
Pour avoir dans ton art réussi de tous points,
Racine, à tes beaux traits que manque-t-il ??? des points.

Il est plus d’un auteur que l’univers admire,
Qui cache ce qu’il dit dans ce qu’il allait dire ;
Et qui, par plusieurs points, coupant net son discours,
Quoique ne disant mot semble parler toujours.
De ses pensers profonds sans charger un volume,
Ce qu’il a de plus fin… reste au bout de sa plume ;
Et laissant la clarté séduire quelques sots,
Il met dans ses écrits plus de points que de mots ;
Souvent….. C’en est assez pour vous faire connaître
L’avantage….. Suivez les leçons d’un tel maître…..

Employez quelquefois plusieurs lignes de points :
Vous obtiendrez bientôt le fruit de tant de soins.
Votre lecteur croira qu’un censeur, dans sa rage,
De vos traits les plus beaux dépouille votre ouvrage.
Bien souvent dans vos points il trouve plus d’esprit
Qu’il n’en a rencontré dans ce qu’il voit écrit ;
Et l’œil fixe, pensif, maudissant la censure,
De vers qu’on n’a pas faits croit faire la lecture ;
Il plaint votre génie aux ciseaux condamné,
Qui……………………………………………
………………………………………………
……………………………………………….
…. Mais malgré ces points il vous a deviné ;
Et, glorieux d’avoir dévoilé ce mystère,
Sur chacun de vos points il fait un commentaire.


Jean-Pierre Brès n’avait pas encore tout vu ! S’interroge-t-il outre-tombe sur la pertinence du point de merde  inventé par…………… Michel Ohl ? ? ? ? ? ? ? ? ?



NOTES

 

1. http://www.livresanimes.com/actualites/actu0504joujou.html

2. Un proverbe, autrefois, disait, pour signifier qu'un homme était entré en grande contestation pour peu de chose : Pour un point Martin perdit son âne ; en latin : Propter unum punctum Martinus perdidit asellum. Nicod, dans Le Grand Dictionnaire françois-latin (Rouen, 1625) l’expliquait par une confusion entre poil et point : imaginons un homme (Martin) qui assure que son âne avait le poil entièrement gris mais à qui l’on montre un poil de cet âne de couleur grise ; il est entré en grande contestation pour une toute petite chose, un poil.

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