Éditions PLEIN CHANT

Marginalia




Quelques mots sur Jacques Ancelot


Le marquis de Rochefort-Luçay
(1790-1871), qui a laissé son nom dans l'histoire littéraire pour avoir été le père d'Henri Rochefort avait pris, écrivant des vaudevilles, des  pseudonymes. Parmi eux,  celui d' Edmond Rochefort, qu'il garda pour signer ses
Mémoires d'un vaudevilliste (Paris, Charlieu et Huillery, s.d., soit 1863).
On y relève (pp. 61-63) un chapitre consacré à un autre vaudevilliste, Jacques Ancelot, caricaturé par Benjamin Roubaud dans le  Grand  Chemin de la postérité dont Martin du Bourg a donné chez Plein Chant, en janvier 2011, une reproduction (celle de l'édition de 1843) enrichie de portraits sérieux, des charges du Panthéon charivarique et autres caricatures. Et le visage, dans le titre ci-dessous, reproduit un détail de la caricature de Monsieur Ancelot dans le Grand Chemin de la postérité.






A N C E L O T




    Dois-je parler de ce Normand et demi, qui commença par des tragédies, se livra un instant à l'opéra-comique, continua ses exercices par des vaudevilles, et finit ses jours sous un habit d'académicien.
    Certes, on ne peut pas lui contester un certain talent, mais presque toutes ses pièces étaient écrites avec de l'opium (1) ; il cultiva avec une persévérance inouïe le genre ennuyeux ; tout ce qu'il concevait se formulait, dans son imagination, sous le nombre fixe de trois actes, ce qui faisait dire au très
-spirituel Duvert (2), qu'il n'osait pas s'asseoir près de lui, dans la crainte qu'il ne le mît en trois actes.
    À l'époque où Ancelot devint directeur du Vaudeville, il n'y eut plus de place sur son affiche que pour ses œuvres ; le règne du bon plaisir commença aussitôt. Il fut irrévocablement arrêté qu’aucun ouvrage important, capable de faire recette, ne serait admis au Vaudeville que pour y être joué trois fois et sifflé autant, les ordres étant donnés au chef de cabale, à cet effet. Ce parti était très logique : Ancelot devenant le plus bel astre de son théâtre, devait en chasser les autres étoiles, pour y briller tout seul. Malheureusement, sa clarté n'était que celle de la lune.
    Lorsqu'il rencontrait un homme de valeur, habitué aux succès, il détournait la tête, en tremblant qu’on lui demandât une lecture.
    Ancelot avait une jolie figure, un regard voilé qu’il cherchait à rendre aussi franc que possible, mais il restait toujours normand.
    Madame Ancelot, l'aidait, dit-on
, dans la confection de ses ouvrages ; elle y mettait tout l’efféminé de son esprit. Elle donnait aussi des vaudevilles sous son nom seul, et les spectateurs les écoutaient avec tant de recueillement, qu'ils fermaient les yeux pendant tout le temps qu'on les jouait.
    On n'a jamais cité qu'un seul bon mot d'Ancelot : il arrivait au théâtre au moment où on sifflait une de ses pièces : « Qu'est-ce
que l’acteur a ajouté ? s’écrie-t-il avec une adorable naïveté. »
    Il avait proposé à l’Académie de ne parler qu’en vers dans ses séances ; on lui rit au nez, et il n’en fut pas plus fier pour cela.
    La meilleure conception d'Ancelot, le plan le plus spirituel qu'il ait formé dans sa vie, c'est d'avoir marié sa fille à l'un de nos plus célèbres avocats du barreau de Paris.
    Ne lui ôtons pas le mérite, cependant, d'avoir fait souvent de très-bons vers, quand les charmes de la poésie doraient sa jeunesse ; mais, plus tard, il ne fut, en prose, qu'une continuelle médiocrité.
    Un acteur du Vaudeville, Lepeintre jeune, avait fait cette épigramme contre lui :

L'ennui naquit un jour de l'uniformité,
On accuse Ancelot de la paternité.

    Il n'y a que ceux qui prêtent au ridicule qui sont sûrs d’être remboursés.
    Le maréchal Marmont (3), lorsqu'il fut nommé ambassade
ur en Russie, l'emmena avec lui ; ce qui fit dire à Gersin (4), que le duc de Raguse escortait Ancelot à Saint-Pétersbourg.

C'est dans ce pays de neiges et de glaces qu'il fit le plan, ainsi que les scènes de sa tragédie d'Olga ; malheureureusement l'ouvrage se ressentait de la température où il avait été conçu. Il le fit jouer à son retour, la pièce mourut de langueur au bout de quelques représentations. Qu'elle repose en paix avec Fiesque, Saint Louis (5) et tout son bagage d'Immortel !

 



Notes en 2011

1. On prenait de l'opium pour rêver, bien sûr, mais aussi pour s'endormir et ce que nous tenons pour une drogue était un somnifère officiel et banal.
2. Félix-Auguste Duvert (1795-1876), fécond vaudevilliste.
3. Auguste de Marmont (1774-1852), duc de Raguse en 1808, maréchal d'Empire en 1809  fut, en février 1826, nommé ambassadeur extraordinaire de Russie auprès de Nicolas Ier,  devenu tsar de Russie en 1825. Arrivé à Saint-Pétersbourg le 13 mai 1826, Marmont resta cinq mois en Russie. Ancelot, qui l'accompagnait avec une quinzaine de personnalités, en fit un livre, Six mois en Russie. Lettres écrites à M. X.-B. Saintines en 1826 (Paris, Dondey-Dupré, père et fils, 1827).
4.
Nicolas Gersin (1766-1833), encore un vaudevilliste.
5. Plus haut, Olga
ou l'Orpheline moscovite, tragédie en 5 actes et en vers, représentée au Théâtre-Français le 15 septembre 1828.
Fiesque, tragédie en cinq actes et en vers, représentée à l’Odéon le 5 novembre 1824. Ancelot s'était inspiré de La conjuration de Fiesco à Gênes, une tragédie républicaine (Die Verschwörung des Fiesko zu Genua, ein republikanisches Trauerspiel) par Schiller, écrite en 1783 représentée en 1784, venue de La conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque, par le cardinal de Retz (publié en 1665), elle-même une adaptation de La Conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque (Congiura del conte Gio Luigi de' Fieschi), par Agostino Mascardi (1629).
Saint Louis
renvoie à Louis IX, tragédie en cinq actes, dédiée à Louis XVIII, représentée au Théâtre-Français le vendredi 5 novembre 1819.



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