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Viollet-le-Duc
avait écrit, sous la seconde Restauration, un Art
de parvenir,
poème de 33 pages in-12 au titre banal et n’annonçant
rien de bien excitant, forme dégradée de plus
brillants Arts de… : L’ Art de la
guerre (Machiavel),
L’Art de jouir (La Mettrie, 1751), etc. On connaît
Viollet-le-Duc l’architecte de Napoléon III, le « restaurateur de Notre-Dame », admiré par les
uns, honni par les autres. On connaît moins son père,
notre Viollet-le-Duc,
l’auteur de cet Art de parvenir satirique. Voici donc
Emmanuel Louis Nicolas Viollet-le-Duc, né le 29 mai
1781 à Paris, fils d’un commissaire-priseur
(Jean-Nicolas ; 1741-1816). En 1793, il commença
par travailler chez un notaire, puis il entra au
ministère de la guerre, où il prit le temps d’écrire
et de publier un Nouvel Art poétique, poëme
en un chant
(Paris, Martinet, 1809), par lui qualifié plus tard de
« petit poëme ironique ». Ce Nouvel
Art poétique
était un pamphlet dirigé contre l’inamovible et trop
fécond abbé Delille, dont la gloire, en son temps,
peut être rapprochée de celle qui adviendra à Victor
Hugo : « l’abbé
Delille régnait souverainement sur le Parnasse
français. Devenu célèbre dès 1769 par sa traduction
des Géorgiques de Virgile et par son poëme des Jardins, il ne cessa plus de
faire des vers sur tous les sujets, jusqu’en l’année
de sa mort, 1813 »
(É.-J. Delécluze, Souvenirs de soixante
années, Michel
Lévy frères, 1862, p. 68). Viollet-le-Duc conseillait
d’oublier les poètes anciens — Virgile et Horace,
entre autres — et d’inventer des mots nouveaux mais
lorsqu’il commentera l’ouvrage, il regrettera « d’avoir été un
prophète de malheur» ; traduire : « Moi,
romantique ? Jamais ». En 1810, il épouse
Eugénie Delécluze, l’une des filles d’un architecte
ayant renoncé, pour cause de maladie, à travailler et
qui perdit la raison à la fin de sa vie. Eugénie était
proche de son frère, Étienne, avec qui elle avait
traduit des textes latins et appris des rudiments
d’italien. Mariée, elle tint salon au 1 de la rue
Chabanais, le vendredi, mais ses invités se
dirigeaient rapidement vers la bibliothèque de son
mari pour entamer des discussions de bibliophiles. « Là, chaque
vendredi, après avoir traversé le salon où se tenait
la maîtresse de maison entourée de quelques-unes de
ses amies, la plupart des habitués, après une
politesse aux dames, passaient dans la bibliothèque où
la conversation était toujours très-animée » (É.-J.
Delécluze, Souvenirs…, p. 156). Parmi les
familiers de Viollet-le-Duc, outre son beau-frère
Étienne Delécluze, on comptait Albert Stapfer
(1802-1892), fils de Philippe-Albert S., ministre des
arts et sciences en Suisse de 1798 et 1800 et
pédagogue partisan d'une école nouvelle, en 1800 ministre
plénipotentiaire de son pays à
Paris ; Viollet-le-Duc, durant la Restauration chef de division à la Maison du roi devint, sous la monarchie de Juillet, conservateur des maisons et résidences royales, autrement dit conservateur au Palais des Tuileries. Ses différents emplois, il les a ressentis comme des océans d’ennui et de travail forcé, rendus supportables par son jardin secret, la bibliophilie : il fallait un vieillard (c’est écrit en 1847, il a soixante-six ans) qui, comme moi, eût employé consciencieusement sa vie dans des occupations arides et contraires à ses goûts, pour trouver de la distraction dans une lecture et un travail (celui de cataloguer ses livres) qui (…) avaient au moins un côté littéraire» (Introduction au Catalogue des livres de la Bibliothèque poétique de M Viollet le Duc…, Paris, J. Flot, 1847). Viollet-le-Duc meurt à Fontainebleau, le 12 juillet 1857. La Révolution avait privé Viollet, âgé de douze ans à peine, de toute instruction scolaire : «En 1793, forcé par la fermeture des colléges (sic) d’abandonner des études à peine commencées, je ne pus les reprendre, bien imparfaitement, que beaucoup plus tard, et n’étant plus un enfant» (Avertissement du Catalogue des livres composant la bibliothèque poétique de M. Viollet le Duc…, Paris, L. Hachette, 1843). Comme le répète à satiété la sagesse des nations, du mal sortit un bien, puisque le jeune Viollet se trouvait « affranchi de toute direction classique, d’admirations commandées » (ibid.). Ce qui était imposé à Viollet le sera, mais à grande échelle et pendant longtemps, à la plupart des enfants du peuple obligés, par nécessité financière, de travailler le plus tôt possible, et cela jusqu’à nos jours, tel Edmond Thomas, qui dut travailler dès la sortie de l’école. Si les collèges furent, sous la Terreur, momentanément fermés, les couvents et les abbayes, riches en bibliothèques emplies des livres les plus divers — que l’on n’imagine pas des ouvrages uniquement religieux, loin de là — avaient été ouverts à tous vents ; les riches amateurs, proscrits, avaient été dépouillés de leurs collections. « La spoliation des grandes bibliothèques avait couvert les boulevarts (sic) et les quais de ces livres dont j’étais curieux » (ibid.). « Curieux » : le mot est lâché. Qui dit curieux dit acheteur compulsif. Ici encore, apparaît Edmond Thomas : « J’ai sans doute acheté, en moyenne, un livre par jour depuis l’âge de 14 ans » (« Rencontre avec Edmond Thomas », La lettre du SLAM, n° 21, septembre 2006). Ayant quitté le collège malgré lui, Viollet-le-Duc avait malgré tout entendu parler de Malherbe et de Corneille, mais devant l’amoncellement des livres entassés, non classés, bradés, inconnus surtout, sa curiosité enfla, s’aiguisa et il put lire — luxe inouï — dans le texte les poètes français d’avant la Renaissance, dont il n’aurait jamais eu connaissance en suivant la voie ordinaire des collèges. L’élan avait été donné, « La collection des poëtes qui composent une partie de ma bibliothèque comprend tous ceux de ces écrivains que quarante années de recherches m’ont permis de réunir depuis le XIIe siècle jusqu’au XVIIe inclusivement » (Avertissement du Catalogue de 1843). Pourquoi les poètes passent-ils avant les prosateurs ? Parce que Viollet-le-Duc était poète, mais, tout opposé à Delille qu’il fût, il écrivait de manière classique : point de salut hors de l’alexandrin et de la césure à l’hémistiche. Ajoutons que ce qu’il appelle la poésie, englobe les pièces de théâtre, longtemps écrites en vers, Mystères du Moyen Âge, comédies et tragédies des XVIIe et XVIIIe siècle. Voltaire écrivant Zaïre s’éprouvait poète autant que lorsqu’il composait une épître ; quant à la poésie de Racine, elle est un lieu commun. Lorsque
Edmond Thomas lançant une revue en 1971,
l’appela Plein Chant, il la sous-titra en
1974 : « cahiers
poétiques, littéraires et champêtres ». En 1971, Edmond Thomas
publiera Dans l’épaisseur des choses (Collection Les Carnets
de Zymase, n° 35, Paris, Cercle des jeunes auteurs).
Il avait à son actif d’autres poèmes, en partie rassemblés dans Poèmes de dix années (Paris, Cercle des jeunes auteurs, 1971), il en publiera d’autres, sans beaucoup d’espoir, ayant déjà écrit en 1962 : « Mais le but de la promenade ne fut jamais atteint »(Fragments d’une autobiographie). Jean Le Mauve fit paraître dans sa revue (L’Arbre, n° 12, été 1976) ce recueil de poèmes, Fragments d’une autobiographie (1962-1975). Est-il besoin de le dire, la poésie d’Edmond Thomas n’a rien à voir avec celle de Viollet-le-Duc, et ses goût poétiques le porteraient notamment du côté des frénétiques du XIXe siècle, auxquels il a consacré le n° 37-38 (printemps-été 1978) de ses cahiers poétiques, littéraires et champêtres, intitulé « De quelques poètes frénétiques, occasionnels ou fonctionnels, diaboliques, macabres, érotiques, morbides, etc… etc… » Loin,
très loin de Viollet-le-Duc, homme de lettres
écrivant pour des hommes de lettres, Edmond
Thomas s’est intéressé à la poésie ouvrière, publiant
chez François Maspero, en 1979, Voix d’en bas. La poésie
ouvrière du XIXe siècle (Collection « Actes et
Mémoires du peuple », republié en 2002, la
Découverte), un choix de poésies écrites par des
ouvriers chansonniers, des compagnons, des artisans,
et un titre emprunté au cordonnier poète Savinien
Lapointe (Une voix
d'en bas, 1844). Edmond Thomas complètera ce
volume de 443 pages (sans compter la bibliographie)
par un numéro de sa revue (toujours intitulée Plein
Chant, mais
devenue : Cahiers trimestriels de littérature),
consacré à la poésie : Ouvriers poètes
du XIXe siècle par eux-mêmes
et par leurs contemporains (Hiver 1979). Edmond Thomas
est-il si loin de Viollet qu’on le pensait ? Non,
et il le prouvait avec Voix d’en bas et avec Ouvriers
poètes du XIXe siècle : dans l’un et l’autre
recueils, il ne se contentait pas de donner à lire,
mais il accompagnait chaque texte d’une notice
détaillée, apportant souvent de l’inédit. Ce fut
exactement le travail de Viollet-le-Duc, lorsqu’il
publia, en 1843 puis en 1847, deux catalogues, si mal
nommés « catalogues ».
Alors qu’Edmond Thomas, non content d’acheter des
livres à s’enfouir sous leurs piles, non content
d’imprimer et d’éditer les ouvrages d’autrui, écrit
pour son propre compte, Viollet-le-Duc se sentait
incapable de l’effort de longue haleine que demande un
livre sur les livres. En même temps, comme le voudra
Edmond Thomas, il désirait faire connaître, à sa
manière, ce qu’il avait aimé, ou parfois détesté,
aussi résolut-il de rédiger un catalogue détaillé de
sa bibliothèque, en le faisant paraître de son vivant,
alors que de tels catalogues sont posthumes, ou
rédigés à l’occasion d’une vente et moins fournis que
les catalogues raisonnés. Lorsque
les Alliés envahirent la France en 1814 (ils
entrèrent dans Paris le 31 mars) pour écraser Napoléon,
les Anglais se firent une joie de rafler le plus
possible de livres anciens, enlevant « les
dernières richesses (… ) que possédaient encore quelques
libraires ».
Et quand les bibliophiles fortunés purent se rendre à
leur tour en Angleterre, ils rachetèrent quelques-uns de
ces livres, mais « afin de se procurer la satisfaction
d’enfouir sous l’acajou ou le palissandre ces livres,
dès lors perdus pour l’étude » (Avertissement du
catalogue de 1843). Pour de tels acheteurs,
Viollet-le-Duc crée (?) un néologisme : bibliotaphe, composé, sur le modèle de
bibliophile, avec le mot grec taphê (sépulture).
Viollet-le-Duc, ne pouvant rétablir le flux des livres
— comment le pourrait-il ? — les remet en
circulation de la seule manière qui lui soit
accessible, c'est-à-dire incarnés dans leurs seuls
titres. On eut ainsi, pour commencer :
Catalogue des livres composant la bibliothèque
poétique de M. Viollet-le-Duc, avec des notes
bibliographiques, biographiques et littéraires sur
chacun des ouvrages catalogués (Paris, L. Hachette,
1843 ; cité plus haut), un titre suivi d’un
sous-titre qui disait l’ambition du catalogueur :
Pour servir à l’histoire de la poésie en
France.
Viollet-le-Duc, en vertu de la loi qui pousse
l’acheteur de livres à effectuer un mouvement
perpétuel — acquérir encore et toujours, et cela sans
mesure, car où serait le plaisir ? — avait
augmenté sa bibliothèque : « Depuis la publication
de mon premier volume, j’ai acheté plusieurs vieux
poètes, pas autant que je l’eusse désiré » (Introduction du
catalogue de 1847). Il fallait une suite au catalogue
de 1843, ce sera Catalogue des livres
composant la bibliothèque poétique de M.
Viollet-le-Duc, avec des notes bibliographiques,
biographiques et littéraires sur chacun des ouvrages
catalogués (Paris,
chez J. Flot, libraire, 25, quai Malaquais,
1847 ; cité plus haut). Ce catalogue, précédé
d’une introduction qui prend peu à peu la forme d’un
manifeste littéraire, commence par la nomenclature des
poésies au sens strict. Puis viennent deux grandes
parties : la première consacrée aux chansons, la
seconde aux contes, un ensemble subdivisé en fabliaux
(contes en vers et en prose, facéties, pièces comiques
et burlesques, dissertations singulières, aventures
galantes, amoureuses, prodigieuses, etc., etc.),
contes en prose (facéties, anecdotes, dialogues,
joyeux-propos, gaillardises, etc., etc.), œuvres
comiques, singulières, facétieuses, etc., etc.,
traités singuliers et facétieux, dissertations, etc.,
recueils de contes facétieux, d’histoires et aventures
facétieuses et satiriques. Le catalogue se termine sur
un Coup d’œil rétrospectif où Viollet aimerait
dégager l’originalité de la poésie française des
premiers temps, tout en manifestant une prudence de
chat soucieux de ne pas être empoisonné devant les
extravagances des grands rhétoriqueurs pratiquant les
«rimes dites : fraternisées, rétrogrades,
enchaînées, senées, couronnées, équivoques,
empérières, etc., etc.», toutes débauches poétiques
par lui blâmées. Le goût pour l’anagramme et
l’acrostiche lui paraît détestable, et ses
pratiquants, d’après lui, « déshonoraient
véritablement la poésie ».
Sans entrer dans les détails, on notera au passage qu’Edmond Thomas, lorsqu’il publie en prose — mais cette prose n’est-elle pas poétique ? — L’Été une fois, de Francis Giraudet, n’a plus rien de commun avec Viollet le mesuré. Et l’on remarquera que ses goûts sont infiniment plus divers que ceux de Viollet. Son premier choix« fut de publier des poètes », puis il s’est orienté « vers des oubliés ou des méconnus de la littérature et de l’histoire littéraire d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et parfois d’ailleurs », éditant des livres allant « de la littérature ouvrière à l’Oulipo en passant par les facéties de l’ancien régime, la bohème du second Empire ou de la période symboliste, les portraits d’excentriques ou la gravure sur bois » (SLAM. « Rencontre avec Edmond Thomas », (SLAM. « Rencontre avec Edmond Thomas », art. cité). Pourtant, les parallèles supposées, Edmond Thomas et Viollet-le-Duc, se rencontrent encore : dans les catalogues de l’un et l’autre, on trouve souvent les mêmes ouvrages. Notons, en une liste non exhaustive : Viollet possédait Les Chansons de Gaultier Garguille (nouvelle édition, suivant la copie imprimée à Paris en 1631. Londres, 1658), Edmond Thomas reproduit en fac-similé les Chansons de Gaultier Garguille parues dans la Bibliothèque elzévirienne en 1858, présentées par Édouard Fournier. Viollet possédait La Petite Varlope, ou Vers burlesques (A Chalon-sur-Saone, chés Claude de Saint, imprimeur du Roi, 1755), il en parut une réimpression en 1869 (Genève, Jules Gay et fils), présentée par Paul Lacroix, dont Edmond Thomas fit un fac-similé en 2005. Viollet possédait les Plaisants devis des suppôts du seigneur de la Coquille, récités publiquement, le 2 février 1580 (Lyon), Edmond Thomas réimprimera le Recueil des plaisants devis récités par les supposts du Seigneur de la Coquille d’après l’édition de Nicolas Scheuring, Lyon, 1857. Viollet-le-Duc possédait La Nouvelle fabrique des excellents traits de vérité. Livre pour inciter les resveurs tristes et mérancoliques (sic) à vivre de plaisir, qu’il commentait sans complaisance : «Ces excellents traits de vérité sont tous de gros mensonges, des plus grossiers qu’on puisse faire, de ce qu’on nommerait aujourd’hui des blagues, et qui tirent leur seul comique de la stupidité de leur exagération même.» Gageons qu’Edmond Thomas avait aimé, lui, ce recueil de Philippe d’Alcripe, sieur de Neri en Verbos, qu’il réimprima en 1994. Si Viollet s’enorgueillissait d’avoir dans sa bibliothèque Les Pensées facécieuses et les bons mots du fameux Bruscambille, comédien original (Cologne), le lecteur contemporain pourra lire Les fantaisies de Bruscambille contenant plusieurs discours, paradoxes, harangues et prologues facécieux dans la collection «Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse» de Plein Chant, réimprimé en 1994 d’après l’édition de Jules Gay (Bruxelles, 1863). Ce même lecteur (ou un autre !) pourra acheter L’Heure du berger, par Claude Le Petit (Plein Chant 1993, réimpression de l’édition de Jules Gay, 1862), que Viollet avait possédée dans l’édition originale de 1662. Edmond Thomas a réimprimé en deux tomes les Œuvres du Seigneur de Cholières, d’après l’édition de la Librairie des Bibliophiles (Paris, 1879) ; Viollet avait eu chez lui Les Contes et discours bigarrez du sieur de Cholières, déduits en neuf matinées (1612 ; l’ouvrage parut pour la première fois en 1585) et Les Après-disnées du seigneur de Cholières… (1588). Viollet pouvait se réjouir quand il en éprouvait le désir avec Les Goguettes du bon vieux temps, ou Recueil choisi de chansons joyeuses, de vaudevilles, de cantiques, rondes et pots-pourris gaillards publiés dans le cours des XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, rédigés par un vieil amateur. À Paphos et se trouve à Paris, 1810 ; Edmond Thomas promet, depuis longtemps et pour bientôt La Goguette et les goguettiers par Eugène Imbert (1864), précédé de documents sur le même sujet*. Il est vrai que ses goguettes à lui sont celles des ouvriers, et dans les années 1830-1870, mais ne serait-t-il pas intéressant de les comparer avec ce que l’auteur du recueil de 1810 appelait, lui aussi, des goguettes ? Lorsque Viollet-le-Duc vendit aux enchères tout ou partie de ses livres (du 5 au 21 novembre 1849, puis en 1853), Pierre Jannet, libraire, successeur de Silvestre, fondateur en 1853 de la Bibliothèque elzévirienne, publia successivement les deux catalogues de vente. En 1849, ce fut : Bibliothèque de M. Viollet le Duc. Première Partie. Poésie, conteurs en prose, facéties, histoires satyriques, prodigieuses, Etc., et un second catalogue fut édité à l'occasion de la vente le 17 février 1853 et les jours suivants, proposant des ouvrages concernant la théologie, la jurisprudence, les beaux-arts, le théâtre, l’histoire. Ces deux catalogues représentaient une sorte de vulgarisation des catalogues personnels de 1843 et 1847, simplifiés pour l’occasion : « Les notes peu nombreuses insérées dans le catalogue que nous publions ont été tirées de ces deux volumes, auxquels nous renvoyons les amateurs » (P. Janet, note préliminaire à la Bibliothèque de M. Viollet le Duc. Première Partie) : il ne fallait pas confondre amateurs et acheteurs, et s’adresser à eux de la même façon ! En
1853, l’un des premiers livres de la
Bibliothèque elzévirienne, Six mois de la vie d’un
jeune homme (1797),
par Viollet le Duc (sans traits d'union), fut le seul
ouvrage de littérature pure écrit par un auteur vivant
que fît paraître Pierre Jannet. Viollet-le-Duc l’avait
écrit sous l’Empire, en 1809, inventant l’histoire
d’un très jeune homme, Eugène de Lautrec, un orphelin
élevé par son oncle, attiré à la fois par deux femmes,
la virginale Méri, une Irlandaise recueillie par un
pasteur, et la sensuelle Aglaé, fille naturelle d’une
courtisane de l’Ancien Régime, qui vivait chez l’oncle
en même temps que lui. L’intrigue romanesque, banale
et schématique, fut inventée, de l'aveu de
Viollet-le-Duc, uniquement pour procurer à l'auteur
(lui-même) l’occasion de rapporter ce qui faisait
l’air du temps sous le Directoire, et ce témoignage
porte en grande part, implicitement et explicitement,
sur une branche du romantisme, celle de Chateaubriand,
mais celle aussi des amateurs de Milton et de
Shakespeare. À côté des trois jeunes gens, chacun
d'eux romantique à sa manière, deux adultes : le
pieux pasteur et le royaliste à tout crin, travaillant
au retour du roi, l’oncle d’Eugène, resté un homme de
l’Ancien Régime croyant en une société mondaine
législatrice absolue, et pour qui les idées nouvelles
ne sont que des « systèmes absurdes » (p.
66). On relève cette incise, à coup sûr
autobiographique : « Eugène répondit que les
poètes étaient les seuls qui lui eussent offert assez
d’attrait pour surmonter le dégoût que le travail
occasionne ordinairement aux jeunes gens qui sortent
du collège » (p. 50), et l’on voit une forme
d’autobiographie lointaine dans les épigraphes,
puisque chacun des chapitres est précédé de quelques
lignes venues d’un texte du genre de ceux qu’aimait
Viollet-le-Duc. Que les auteurs soit ou non cités, on
rencontre par exemple Villon, Charles d’Orléans,
Maynard, Jehan de la Taille (ch. VI), Marc Lescarbot,
Guillaume Coquillart (ch. XIV), Guillaume Alexis (ch.
XV), Martial d’Auvergne (ch. XXII). Ce mois de
septembre 1853, quand paraissait Six mois
de la vie d’un jeune homme…, Pierre Jannet éditait les
Œuvres complètes de Mathurin
Régnier, avec
les Commentaires revus et corrigés. Précédées de
l’Histoire de la satire en France pour servir de
Discours préliminaire, par M. Viollet le Duc. L’Histoire de la
satire en France
était parue en 1823 (peut-être déjà en 1822), suivie
par les Satires de Régnier : Œuvres de
Mathurin Régnier,
avec les commentaires revus, corrigés et
augmentés ; précédées de l’histoire de la satire
en France, pour servir de discours préliminaire (Paris, chez Th. Desoer,
libraire) ; les « Commentaires
revus et corrigés » étaient ceux de Brossette,
mais l’Histoire de la satire était bien de
Viollet-le-Duc. Pierre
Jannet avait mis sur pied, avec la
collaboration d’Anatole de Montaiglon et de
Viollet-le-Duc, une collection en 10 volumes (mars 1854
- novembre 1857) : Ancien théâtre françois ou
Collection des ouvrages dramatiques les plus
remarquables, depuis les mystères jusqu’à Corneille,
publié avec des notes et éclaircissements. Viollet-le-Duc a écrit la
notice du premier tome, un historique sommaire du
théâtre depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIe
siècle et celle du quatrième, consacré au théâtre de
la Renaissance. Dans ce tome, on trouve les œuvres
dramatiques d’Étienne Jodelle ; Les
Esbahis, de
Jacques Grevin ; La Reconnue de Remy Belleau.
Contrairement à ce que l’on attendrait du
collectionneur, Viollet-le-Duc n’avait prêté, pour la
confection des trois premiers tomes, aucun de ses
livres ; les textes venaient d’un recueil
découvert par Pierre Jannet au Musée Britannique
(British Museum) puis exploité par lui-même avec
Anatole de Montaiglon, sans la moindre participation
de Viollet-le-Duc. L’élaboration de cette collection
en dix volumes dut être mouvementée, car au dernier
tome, Pierre Jannet avertit que si Viollet-le-Duc
aurait dû être le maître d’œuvre de la série entière,
« par suite de diverses
circonstances, son concours à cette publication s’est
trouvé considérablement restreint. Resté, suivant son
désir, étranger à la publication des trois premiers
volumes, dont le véritable éditeur est M. A. de
Montaiglon, il n’est auteur que des notices insérées
dans le tome IV et des deux premières du tome VII.
Pour tout le reste de la collection, c’est à moi
personnellement qu’incombe la responsabilité »
(Avertissement du libraire, t. X, p. V). On pressent
des drames… Mais si l’on peut supposer que
Viollet-le-Duc et Pierre Jannet se brouillèrent,
pourquoi s’attarder tant sur la Bibliothèque
elzévirienne ? C’est que l’on retrouve, une fois
de plus, Edmond Thomas, passionné de cette collection,
à ses yeux un sommet de l'histoire de l'édition.
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