Michel Ohl
semait oralement autour de lui ses calembours et
autres jeux de mots avec générosité,
Avait-il sous la main des ciseaux et
de la colle, il enrichissait volontiers ses
épistoles d’images, et ses correspondants
gardaient ses lettres, espérant contribuer à son
immortalité littéraire. Dans le flot de ses
billets écrits souvent en diagonale, on a choisi
celui-ci, illustré par Pascal – le Pascal
du pari –, en train de répéter sa
meilleure « dernière parole » –
délibérément anachronique puisqu’elle renvoyait à
Rastignac qui aurait dit, selon l’opinion commune,
« À nous deux Paris ! »
Plus
loin dans la lettre, annotateur
consciencieux, il rectifiait,
rappelant que Balzac dans une des
dernières lignes du Père Goriot faisait dire
à Rastignac, s’adressant en effet à
Paris : « À nous deux
maintenant ! »
Trop narcissique
pour ne pas aimer la vie, Michel Ohl ne
pouvait s’empêcher de rendre la mort
présente. Le Corbeau
et le Renard de
La Fontaine était devenu
pour lui « Le Ver et le
Cadavre, "Maître
cadavre en un sapin couché…" ».
Il se laissait envahir par la
représentation imaginaire de
cercueils, de tombes, « Hé !
ne m’enterrez pas ! En creusant
la fosse, ils m’envoient en effet
toute la terre dessus ! Je n’ai
plus que la tête qui
dépasse ! ». Sans désirer la
suppression des gestes mortuaires
exécutés par les vivants, il les
tournait en dérision, la fosse commune
devenue réceptacle de lisier
(Dictionnaire : Lisier. Mélange
fluide composé d'urine et d'excréments
d'animaux que l'on conserve dans des
fosses couvertes pour servir
d'engrais) composé des corps de ces
gros malins qui,
autrefois vivants, lisaient :
« —
Lisier ?
« —
Fosse commune, liseurs et livres mêlés,
ça leur fera les pieds à ces malingros
d’érudits ! »
Il
faisait mine d’accepter par avance la
disparition de son corps et de son
esprit : « maman découpe dans Sud
Ouest
ma nécrologie qu’elle réduit en cendres,
et martèle : "Reste où tu
es ! Ne reviens pas ! Nous
fais pas honte ! Tu es des
leurs ! Ne reviens pas !" »,
tout en espérant au fond de soi
rester en vie (?) après sa mort – ou plutôt,
rester, simplement
rester.
La littérature fut de
son vivant une planche de salut dans la
mesure où elle lui permettait de jouer
avec la mort – et ce
fut, entre
autres, Rêves d'avant la
mort –, comme il
jouait avec les mots.
Écrire faisait
naître en son
esprit
l’idée d’une immortalité invérifiable
mais pressentie, approchée grâce au
langage – ses
écrits lui
survivraient. Vivant, il survivait déjà,
il se survivait lorsque, par
exemple, il
composait
ce
distique à écouter plutôt qu’à lire
Les
vers faux avant-coureurs de
la mort
Je me les fée pour
mettre l'âme
hors |
où
il rapprochait les vers de la poésie des
vers de terre et assimilait une fée au
verbe faire, la mort à l’âme, cette âme
que les religions assuraient être
immortelle.
|